Si le cahier des charges pour l'achat du muguet est si précis, c'est parce que c'est une sorte de rituel, de salut à l'enfant que j'étais.

De 5 à 24 ans, j'ai vécu dans un petit village (450 habitants, quand même !) tout près d'une grande ville. Une sorte de situation idéale, presque.

Donc les occupations du mercredi et du week-end, c'était se promener dans la forêt, ne pas se faire piquer si on mettait le bout d'une chaussure dans un champ, manger des mûres cueillies à même les ronces, tout ça. Pas trop de voitures pour nous empêcher de vivre, pas des vraies campagnardes non plus, une sorte de "juste" milieu. Plus tard, force est d'avouer que le ciné et le centre commercial ont remplacé ces champêtres activités.

Pour le premier mai, ma copine et voisine Vanessa et moi étions autorisées par nos parents à vendre le muguet sur la place du village.

Tout un rituel : se lever aux aurores pour cueillir le muguet dans le jardin de ses parents, préparer les feuilles de plastique qui entourent les brins, récuperer du papier alu et un joli panier pour présenter la récolte, bref, on faisait ça bien. En faisant gaffe de ne pas marcher sur sa tortue Gertrude dans le jardin, quand même.

Et puis on s'installait sur notre table de camping, sous un parasol, avec nos pliants, comme des bidochonnes précoces au camping de la plage. On avait une boîte de Quality Street en guise de caisse.

On était quelques-uns à se faire concurrence, bien sûr. Mais les parents achetaient plutôt deux fois qu'une pour ne peiner personne. Et il faut dire qu'à deux filles (parfois lestées de nos frères respectifs) on avait un sacré avantage.

Vanessa était un peu timide, moi déjà plus tellement. J'adorais ça, jouer à la marchande pour de vrai. Vendre ma marchandise, dire "Dépêchez, vous, on en a presque plus" !

Quand le stock était épuisé, on était un peu triste que le "jeu" soit déjà fini. On faisait les comptes, commes des grandes. J'ai souvenir qu'on gagnait quand même 400 ou 500 francs par premier mai et que nos parents nous dispensaient de rembourser le matériel (enfin surtout les siens puisque la production de matière première, c'était eux).

Et quel grand malheur que la boulangerie, tenue par une horrible harpie mais néanmoins dispensatrice de délicieux bonbons, soit fermée en ce jour férié...