Lorsque j'habitais et travaillais à Levallois, je devais quotidiennement traverser un fort joli parc matin et soir. Fort joli et fort coûteusement entretenu par la municipalité, je présume. Car c'était débauche de fleurs et de "magnifiques" sculptures à longueur d'années.

L'un des employés municipaux, sous-section entretien des espaces verts, était (est toujours, j'espère) un vieux malien. Enfin je dis vieux, je ne pense pas qu'il le soit tant que ça. Mais il a la physionomie et l'allure général de celui qui a déjà traversé beaucoup.

A force d'échanger des sourires dans le parc, au détour d'une allée, parce que ces types qui bossent dès cinq heures du matin quel que soit le temps pour qu'on ait de superbes plates-bandes, ça n'arracherait la tête de personne de leur sourire plutôt que de faire un détour pour les éviter, nous sommes passés au bonjour.

Puis à la rituelle poignée de main.

Le jardinier traversait la moitié du parc s'il le fallait pour venir me serrer respectueusement la paluche et me demander des nouvelles de ma santé.

"Alors si la santé va, on peut aller travailler et tout va bien".

L'été de la canicule, pour moi, c'est le souvenir de ce type qui avait quitté son pays, sa famille, sa vie et qui hochait la tête philosophiquement devant le parc qu'il devait entretenir. "Pourquoi dépenser tant à faire pousser des fleurs alors qu'il y a tant à faire pour faire pousser des hommes". Voilà ce qu'il me disait, en gros. Et il finissait par "mais bon, si ça leur fait plaisir, ça en nourrit au moins quelques-uns" en se frottant le ventre.

Je l'aimais bien mon jardinier malien. Il me semble que beaucoup auraient gagné à prendre cinq minutes, de temps en temps le matin, pour regarder pousser les fleurs avec lui.