Je ne suis pas très bon public pour la poésie, en général.

Cette manie de lire trop vite, peut-être, bien qu'en prose certains aient le don de manier les mots de telle façon qu'ils m'attrapent au vol fort efficacement... je ne sais pas. Ou peut-être cette manière de nous apprendre la poésie à l'école, sans trop de considération pour le sens, juste le par coeur et bien réciter, ligne après ligne ?

Toujours est-il qu'en cherchant une phrase qui m'échappait l'autre jour, je farfouillais et tombais sur un vieux souvenir.

Desnos est ma grande exception. Desnos le méconnu, dont on se rappelle vaguement la fourmi de 18 mètres, avec un chapeau sur la tête, ça n'existe pas (et si ma mémoire est bonne elle tirait un char plein de pingouins et de canards, ce qui ne lasse pas de m'amuser aujourd'hui, mais ça n'a rien à voir).

Desnos qui a écrit aussi tant de choses poignantes, émouvantes, qui a aimé et a souffert et l'a si bien traduit en mots.

Alors hop, ceci pour vous. Cadeau. Et puis Destinées Arbitraires dans ma table de chevet.

J'ai tant rêvé de toi

J'ai tant rêvé de toi
que tu perds ta réalité.
Est-il encore temps d'atteindre ce corps vivant et de baiser
sur cette bouche la naissance de la voix qui m'est chère?

J'ai tant rêvé de toi
que mes bras habitués en étreignant ton ombre
à se croiser sur ma poitrine
ne se plieraient pas au contour de ton corps, peut-être.
Et que, devant l'apparence réelle de ce qui me hante et me gouverne depuis des jours et des années,
je deviendrais une ombre sans doute.
O balances sentimentales.

J'ai tant rêvé de toi
qu'il n'est plus temps sans doute que je m'éveille.
Je dors debout, le corps exposé à toutes les apparences de la vie et de l'amour et toi,
la seule qui compte aujourd'hui pour moi, je pourrais moins toucher ton front et tes lèvres que les premières lèvres et le premier front venu.

J'ai tant rêvé de toi,
tant marché, parlé, couché avec ton fantôme
qu'il ne me reste plus peut-être,
et pourtant, qu'à être fantôme parmi les fantômes et plus ombre cent fois que l'ombre qui se promène et se promènera allégrement sur le cadran solaire de ta vie.

Robert Desnos - 1930

(Ce que je cherchais à l'orgine est un écho de ce poème, dont on ne sait pas s'il est dû à une traduction du Français au Tchèque puis encore vers le Français quand Desnos était en camp de concentration, ou s'il s'agit d'une "Variation sur le même t'aime"... en forme de dernier poème avant sa mort en 1945

J'ai tellement rêvé de toi
J'ai tellement marché, tellement parlé,
Tellement aimé ton ombre,
Qu'il ne me reste plus rien de toi,
Il me reste d'être l'ombre parmi les ombres,
D'être cent fois plus ombre que l'ombre,
D'être l'ombre qui viendra et reviendra
Dans ta vie ensoleillée.

Robert Desnos - 1945)