Il y a quelque chose d'étrange à voir ceux qui ont longtemps été nos protecteurs s'étioler.

Cela ne m'avait que modérément frappée quand mes oncles et grands-pères sont tombés malades puis sont morts. Sans doute parce que les dernières fois où je les ai vus, ils "habitaient" encore leurs corps, les changements physiques étaient là, les signes de la maladie inéluctables, on ne pouvait pas les ignorer, mais c'était encore eux dans la pupille, dans le mot...

Quand ma grand-mère (l'autre, pas celle aux coups de fils) a eu une attaque il y a deux ans, un peu plus, j'ai eu le triste privilège d'être la première avertie. Le triste privilège aussi d'être la première à la voir, le premier des quelques jours qu'elle a passés dans le coma.

Le diagnostic était "réservé", comme on dit. On savait que si elle en sortait, il y avait un risque de séquelles importantes. Mais au "on ne peut rien dire pour le moment", scientifique et rigoureux des médecins, mon coeur battait que c'était la fin.

Comment décrire alors les montées d'adrénalines qui vous saisissent quand une paupière tressaille, quand un doigt bouge, et que ce ne sont que des réflexes ? Bouffée d'un espoir irrationnel à chaque fois, contredite par le cerveau qui dit "n'y crois pas, surtout n'y crois pas..."

Comment décrire ce corps qui, vidé des habitudes de son occupante, révèle au lieu de la personne aimée le physique d'une vieillarde presque méconnue ?

Le corps est bien trompeur quand il est déserté par celui ou celle qui l'anime, pas encore tout à fait résigné, mais déjà plus là...