Si très souvent, petite fille et adolescente, j'ai été amoureuse, j'ai eu des coups de coeurs, c'est il y a une dizaine d'années que j'ai pu dire que j'aimais quelqu'un. Au sens, pas seulement pour la cristallisation, les palpitations, l'occupation de mon cerveau et ce que ça peut nous renvoyer de positif, ces jolis états.

P., je l'aimais au-delà de ça, profondément pour ce qu'il était et en dépit du fait que ça ne me faisait pas le moindre bien.

Il faut croire, et quand je vois la femme qu'il a épousée, je le crois volontiers, que je n'étais vraiment pas faite pour qu'une histoire d'amour amoureux et partagé naisse de notre rencontre, en tout cas c'est ce dont il était persuadé. Notamment (mais pas seulement) parce qu'il était aussi mon meilleur ami.

Je crois, le pire de tout, que mon tempérament romanesque s'accomodait de cette situation douloureuse.

Bref, P. a fini par partir à l'étranger et en un claquement de doigts, j'ai perdu l'homme que j'aimais et mon meilleur ami. Ca fait beaucoup.

J'ai fait trois fois le voyage, entrepris d'apprendre l'hermétique langue locale (j'en connais dix mots, quand même), fait quelques démarches auprès du consulat pour voir quelles pistes explorer pour partir là-bas. Il disait : "Si tu le fais, ça me fera plaisir, mais ne le fais pas pour moi".

La dernière fois que j'y suis allée, j'ai rencontré celle qui est aujourd'hui sa femme. J'étais tellement aterrée par son choix que j'ai dû passer le séjour avec la machoire posée sur les genoux. Je suis repartie, avec en cadeau le double des clés de son appart dans la poche de mon jean (moi non plus, je n'ai jamais compris).

Je ne suis pas revenue. Et quand il m'a annoncé qu'il se fiancait, je me suis fâchée, il s'est fâché, et on s'est perdus de vue pendant des années.

C'était aussi l'époque de la fin des études et des premiers boulots, je vivais en bande, avec des sortes de cercles concentriques (les amies du premier cercle, les bons potes, les copains, les connaissances, les copains des copains des copains...) et je crois que je suis devenue tellement folle de douleur que tout ça a volé en éclat.

De tout ce qui était mon monde, ne restait que mes amies O. et A. et la sensation de vivre dans une chanson énervée d'Alanis Morissette.

Pendant cinq ans, les cinq années qui m'ont séparée de la rencontre "en vrai" avec L'Amoureux, je me suis appliquée à piétiner tout ce qui pouvait ressembler à de l'amour. Seules mes amis pouvaient m'approcher un peu pour de vrai. Et encore. Ou encore, je (me) faisais croire que je tombais amoureuses de types impossibles, avec qui vraiment, ça ne pouvait pas marcher, couru d'avance. Sans doute histoire de pouvoir entretenir la colère et me dire qu'ils étaient tous pareils.

Je brodais sur le thème de l'amour malheureux, et quand il n'y en avait pas assez dans la réalité, je m'arrangeais pour provoquer de quoi en passer une nouvelle couche.

Et au bout de ces cinq années, j'avais mis un couvercle au dessus de mon volcan intérieur. J'avais une armure assez efficace pour ne laisser passer, en gros, que ce que j'avais décidé. Et je regardais le couvercle agité par les crachottis du volcan en me disant que plus jamais, vraiment plus jamais, je ne me mettrais en danger à cause de quelqu'un d'autre.

(A suivre)