C'est ainsi que piano d'étude loué et un exemplaire du "Solfège des Solfèges" en main, j'ai pris le chemin des cours de piano, qui m'étaient dispensés par "l'autre" (c'est à dire celle que je n'avais pas en cours cette année là) prof de musique du collège que je fréquentais, par ailleurs collègue de maman.

Les débuts étaient des débuts, elle était sympathique et encourageante. Moi, motivée, je m'attaquais péniblement au déchiffrage de morceaux de peu d'intérêt, dont la répétition devait être un calvaire familial. Mais j'avançais doucement.

Mon objectif avoué à l'époque était de jouer un jour la fameuse "Lettre à Elise", ce qui me paraissait comme l'étape qui m'ouvrirait toutes les portes de la virtuosité.

Hélas pour les oreilles familiales, ce moment vint et le motif récurrent de ce morceau-cliché a résonné longtemps, très longtemps, dans la maison.

Au point d'arracher des spasmes nerveux à mon père et l'hilarité de mon grand-père, qui devait revivre par procuration et avec le confort de la distance quelques moments du folklore familial.

Heureusement pour tout le monde j'ai passé le cap !

J'avais changé de prof et j'étudiais alors dans l'école de musique de mon village, où j'étais l'élève la plus avancée. Tous les ans nous donnions un concert gratuit et c'est ainsi que j'ai vécu les prémices de la gloire, exécutant devant un public nombreux réuni pour l'occasion dans l'église le premier mouvement de la sonate au clair de lune. Quel succès mes amis ! Le public en liesse, debout !

J'étais devenue adolescente et je commençais à me dire que les partitions, c'était bien, mais que de savoir jouer à l'oreille, improviser, tout ça, ça correspondrait plus à mes envies artistiques intérieures.

Las, à la fois par manque de talent, de travail, et aussi la faute à un prof particulièrement déplaisant, je me suis vite rendu compte que si mon talent d'exécutante pouvait donner l'illusion à un public peu averti, les portes de la liberté musicale m'étaient tout de même assez fermées...

(A suivre)