C'est rare qu'on se dise ce dernier au revoir.

Pourtant qu'est-ce qu'on entend ce soupir désolé, ce deuil tout neuf qui commence dans les regrets : "je ne lui ai pas dit au revoir", "j'aurais aimé lui dire au revoir".

Parfois on peut. Ca veut dire que celui ou celle qu'on souhaite saluer va très mal. Ou bien est dans le coma, on sait déjà que la bataille est perdue, que c'est une question d'heures, de jours.

Alors on dit un au revoir qui ne veut rien dire, noyé dans les larmes, ou bien incrédule. On le fait parce qu'on croit que ça ira mieux comme ça, que ça sera plus facile. Ou bien on s'abstient parce qu'on trouve ça tellement vain.

La plupart du temps on ne peut pas. Ca vient d'un coup, sans prévenir. Ou bien ça rôde depuis des années alors on finit par s'habituer aux "c'est peut-être la dernière fois". On s'habitue à tout, vous savez. Surtout à l'extrêmement éphémère, comme l'est notre petit passage sur Terre.

Ca vaut peut-être mieux, d'ailleurs, qu'on ne puisse pas dire au revoir. Vous imaginez, votre encore vivant et vous, vous souhaiter quoi ? Bonne route ! Bonne chance pour la suite, hein ! S'il y a quelque chose après, tu me préviens ? Ok, téléphone moi du néant pour me dire que tu es bien arrivé...

Impossible dialogue. Trop lourd, trop dur. Et puis pour celui qui reste, c'est comme enterrer déjà celui qui survit encore, d'une certaine manière. Au lieu de profiter jusqu'à la dernière seconde (ou bien ça permet de profiter jusqu'à la dernière seconde, je ne sais pas...).

J'ai 31 ans et demi. Perdu mes deux grands-pères, mes deux oncles, "ma" grand-mère (horribles guillemets mais ainsi faits que c'est ainsi fait). Plus quelques amis, une cousine jamais rencontrée. Des aïeux plus lointains. Certains d'un coup, comme par surprise. D'autres au bout d'un long chemin difficile. Je ne peux pas vous dire si c'est mieux de dire au revoir ou pas. Comme si de toute façon le coup de fil qui vous dit que c'est fini est, reste et restera toujours une mauvaise surprise, une sale blague, quelque chose à quoi on ne veut pas se résoudre.

La seule chose que j'ai apprise, et qui n'est une vérité que pour moi, pas forcément un truc transposable, vous voyez, c'est que dire au revoir, c'est comme le deuil. C'est quelque chose entre moi et moi toute seule. Qu'au vu de mon absence totale de convictions pour un après, un au-delà, ou je ne sais quoi, celui qui est parti, ça ne lui fait plus rien ou pas.

Et que la douleur qui me reste, elle est toute personnelle. Un truc à régler en interne, d'une certaine manière. Et à surtout bien mettre à l'abri des autres. Qui ne vivent pas la chose comme vous, et putain que c'est intrusif, le deuil des autres. Insupportable. Le vôtre aussi doit leur être insupportable. A croire que ça rendrait les choses plus faciles de se ressembler dans la souffrance. Sauf que non, ou rarement. Même pour les gens qui vous sont les plus proches.

Tout ça pour dire qu'on ne dit jamais vraiment au revoir. Trop insoutenable.

Et c'est sans doute ça qui nous permet de rester un peu vivants, puis d'aller mieux, de pousser notre bouchon un peu plus loin.

Enfin je crois. Aujourd'hui. Peut-être plus demain...