ON NE DIT JAMAIS AU REVOIR
Par Chiboum le vendredi 23 mars 2007, 08:00 - All about Chiboum - Lien permanent
C'est rare qu'on se dise ce dernier au revoir.
Pourtant qu'est-ce qu'on entend ce soupir désolé, ce deuil tout neuf qui commence dans les regrets : "je ne lui ai pas dit au revoir", "j'aurais aimé lui dire au revoir".
Parfois on peut. Ca veut dire que celui ou celle qu'on souhaite saluer va très mal. Ou bien est dans le coma, on sait déjà que la bataille est perdue, que c'est une question d'heures, de jours.
Alors on dit un au revoir qui ne veut rien dire, noyé dans les larmes, ou bien incrédule. On le fait parce qu'on croit que ça ira mieux comme ça, que ça sera plus facile. Ou bien on s'abstient parce qu'on trouve ça tellement vain.
La plupart du temps on ne peut pas. Ca vient d'un coup, sans prévenir. Ou bien ça rôde depuis des années alors on finit par s'habituer aux "c'est peut-être la dernière fois". On s'habitue à tout, vous savez. Surtout à l'extrêmement éphémère, comme l'est notre petit passage sur Terre.
Ca vaut peut-être mieux, d'ailleurs, qu'on ne puisse pas dire au revoir. Vous imaginez, votre encore vivant et vous, vous souhaiter quoi ? Bonne route ! Bonne chance pour la suite, hein ! S'il y a quelque chose après, tu me préviens ? Ok, téléphone moi du néant pour me dire que tu es bien arrivé...
Impossible dialogue. Trop lourd, trop dur. Et puis pour celui qui reste, c'est comme enterrer déjà celui qui survit encore, d'une certaine manière. Au lieu de profiter jusqu'à la dernière seconde (ou bien ça permet de profiter jusqu'à la dernière seconde, je ne sais pas...).
J'ai 31 ans et demi. Perdu mes deux grands-pères, mes deux oncles, "ma" grand-mère (horribles guillemets mais ainsi faits que c'est ainsi fait). Plus quelques amis, une cousine jamais rencontrée. Des aïeux plus lointains. Certains d'un coup, comme par surprise. D'autres au bout d'un long chemin difficile. Je ne peux pas vous dire si c'est mieux de dire au revoir ou pas. Comme si de toute façon le coup de fil qui vous dit que c'est fini est, reste et restera toujours une mauvaise surprise, une sale blague, quelque chose à quoi on ne veut pas se résoudre.
La seule chose que j'ai apprise, et qui n'est une vérité que pour moi, pas forcément un truc transposable, vous voyez, c'est que dire au revoir, c'est comme le deuil. C'est quelque chose entre moi et moi toute seule. Qu'au vu de mon absence totale de convictions pour un après, un au-delà, ou je ne sais quoi, celui qui est parti, ça ne lui fait plus rien ou pas.
Et que la douleur qui me reste, elle est toute personnelle. Un truc à régler en interne, d'une certaine manière. Et à surtout bien mettre à l'abri des autres. Qui ne vivent pas la chose comme vous, et putain que c'est intrusif, le deuil des autres. Insupportable. Le vôtre aussi doit leur être insupportable. A croire que ça rendrait les choses plus faciles de se ressembler dans la souffrance. Sauf que non, ou rarement. Même pour les gens qui vous sont les plus proches.
Tout ça pour dire qu'on ne dit jamais vraiment au revoir. Trop insoutenable.
Et c'est sans doute ça qui nous permet de rester un peu vivants, puis d'aller mieux, de pousser notre bouchon un peu plus loin.
Enfin je crois. Aujourd'hui. Peut-être plus demain...
Commentaires
Hier une amie a perdu son père. Il a fait une attaque cérébrale en début de semaine et elle a décidé (avec ses frères) de ne pas s'acharner médicalement afin d'éviter de le transformer en légume. Un jour, elle est allée le voir comme les jours précédents et lui a glissé à l'oreille "papa si tu veux partir, tu es libre. Et on exaucera ton voeu, on déposera tes cendres aux côtés de notre petite soeur" ... quelques heures plus tard il a donné son dernier souffle.
C'était sa manière à elle de dire au-revoir à son père!
"A croire que ça rendrait les choses plus faciles de se ressembler dans la souffrance. Sauf que non, ou rarement. Même pour les gens qui vous sont les plus proches."
ça me fait penser à l'adolescence ... tu sais ce moment ou la souffrance n'est jamais comprise, ou l'on a même besoin de se sentir seul, même si c'est encore plus désespérant.
Peut être sommes nous un peu adolescent face la mort ... Peut être a t-on besoin d'être seul dans notre souffrance, c'est peut être ainsi que nous disons au revoir, en pleurant bien ... Je dis ça, mais je me rend compte que mes morts sont partis dans mon adolescence ... (k)
farang, à chacun sa manière, c'est ça...
luciole, oui c'est vrai que le parallèle me semble juste. Mais une bonne partie des miens date de l'adolescence aussi (bien que j'ai vu des gens d'un âge très très honorable se conduire pire que... au nom de leur souffrance...)
C'est difficile le deuil. C'est difficile de comprendre comment chacun réagit, comment chacun le vit. Tous les deuils que j'ai vécu et certains très proches ne m'ont jamais donné le sentiment d'une perte. Parce que les souvenirs, les pensées, une présence indicible à laquelle on peut croire ou non, tout ça "matérialise" mes proches disparus autour de moi. Aussi, je n'éprouve jamais aucune émotion dans un cimetière, sur une tombe. ca m'est totalement étranger, ça ne représente rien. Je n'arrive pas à imaginer que quelqu'un puisse être là. Il m'arrive par contre d'être touché en passant 5 minutes en pensée avec un de mes morts (quelle horrible expression!)
Plus que le regret de n’avoir pas dit au revoir, je crains de regretter de ne pas avoir dit je t’aime. Il est encore temps, j’ai la chance d’avoir encore mes parents, mais moi qui suis plutôt de nature discrète, je ne me vois pas leur sauter subitement au cou en leur faisant une déclaration d’amour. Et pourtant, même si je sais qu’ils ne doutent pas de l’amour que je leur porte, je regretterai sûrement de ne pas leur avoir dit…
Il n'est pas toujours impossible, le au revoir avant, Anne. Il est fait de circonstances particulières, mais ça peut arriver. Un jour, je déménageais loin, et une vieille dame chère à mon coeur m'en a fait le cadeau de cet au revoir. Elle savait, elle, qu'on ne se reverrait pas, et c'est elle qui m'a dit au revoir. C'était super dur, bien sûr, sur le moment. Elle est partie quelques semaines plus tard et je n'ai pas pu aller à son enterrement. Et finalement, son au revoir, c'était comme un cadeau. Je ne sais pas si ce que je dis est très compréhensible (je suis encore émue en y pensant, 14 ans après...), mais il n'y a pas de règle, voila.
Lo, je suis comme toi, vis-à-vis des cimetières et autres tombes. Ca me laisse complètement indifférente, ce qui rend ma grand-mère folle de rage, d'ailleurs. Mais pour moi aussi, le souvenir, la pensée est plus forte qu'un morceau de pierre...
swahili, c'est peut-être parce que j'ai expérimenté tôt la mort de gens proches que ces "je t'aime" que je m'en voudrais d'avoir retenu sortent naturellement, alors je ne peux que t'encourager dans cette voie, mais chacun sa manière, là aussi.
Isadora, oui, on peut, dans certaines circonstances. Mais je crois quand même que ça reste un peu "abstrait". Quand on dit au revoir, c'est dans l'idée de se retrouver, et je suis loin d'être persuadée qu'on se retrouve... Mais on peut parfois avoir la chance d'échanger quelques mots qui disent le plaisir d'avoir fait un morceau de route ensemble.
Tout ceci est vraiment tellement, tellement personnel. Au-delà du choix et de la possibilité de dire au revoir, il y a ensuite le dernier regard sur ce "nouveau voyageur". Je garde l'image "vivante" ou bien je prends le risque de garder la "figée" ? Je touche ? Je touche pas ? J'embrasse, j'embrasse pas...
(tiens c'est vrai que ça ressemble à l'adolescence :-/ )
Toutes ces questions si morbides auxquelles il faut apporter une réponse tellement rapide avant que tout ne se referme et qu'il soit trop tard.
J'ai perdu mon père et ma grand-mère maternelle dans des circonstances "accidentelles". Donc pas d'au revoir officiel, et je pense que c'est une des seules choses pour lesquelles j'aurais voulu que l'on m'octroie 10 minutes spéciales "j'te dis tout c'que j'ai pas eu le temps de te dire en une vie".
Mais bon, comme je sais que ce n'est pas possible, et bien du coup,pour ne plus avoir besoin de demander "10 minutes spéciales", je m'occupe de mes "vivants" dès à présent ! :)
Sand, je crois que justement (mais ça m'est tout personnel), le chemin du deuil c'est d'accepter qu'on ne trouve pas toutes les réponses tout de suite, aussi douloureux que ça soit. Mais oui, être en paix avec ses morts et s'occuper de ses vivants. Et de soi, aussi. Important pour être bien avec les autres, mais bizarrement le truc qu'on a tendance à négliger...
- Et c'est sans doute ça qui nous permet de rester un peu vivants, puis d'aller mieux, de pousser notre bouchon un peu plus loin.
C'est aussi ce qui peut te pousser à engager une balle dans le canon d'une arme, et à appuyer celle-ci sur ta poitrine.
Le hasard, si c'en est un, fait parfois qu'à ce moment là, à une fraction de seconde de ton grand saut, le téléphone sonne. Et au bout de la ligne c'est une amie qui s'inquiétait de toi. Et qui te sauve.
Reste à savoir pour combien de temps.
Je ne trouve pas que ton billet aille forcément à l'encontre des convictions que j'ai exposées dans de récents billets chez moi. Le fait de croire profondément que la vie ne s'arrête pas avec la mort ne me dispense pas d'un au revoir. C'est juste qu'il m'arrive de le dire "après", surtout pour ceux qui sont partis sans crier gare, et je suis persuadée qu'ils m'entendent.
D'ailleurs je note que toi-même tu parles d'"au revoir", et non pas d'"adieu". Alors... :)
Oui je partage l'opinion de Traou, je préfère un au revoir, à un adieu.
Sambucucciu, de toute façon la vie est un sauvetage permanent... jusqu'au jour où...
Traou, ou c'est volontaire. C'était pour souligner déjà le côté insupportable lié au fait de se dire "adieu". Et aussi parce que le "à dieu", pour le coup, me fait doucement rigoler. Amusant quand on y pense que le mot "Adieu" veuille dire "A jamais".
Fauvette, de toute façon, si un jour on est fixées, ça ne changera plus grand chose. C'est juste pour vivre nos deuils le moins douloureusement possible qu'on choisit nos mots, nos façons de souffrir (si tant est qu'on choisisse).
C'est un lourd et beau sujet. Je viens de perdre ma soeur en decembre. Ses dernieres mots pour moi avant de tomber dans un etat semi-comateux ont ete "au revoir ma cherie".
Je ne sais pas... Mais c'est (encore) un bien joli billet.
J'ai beaucoup de chance ...
Nathalie K., je souhaite en tout cas, "au revoir" ou pas, que tu vives ça le moins mal possible...
Rose, j'espère que tu ne sauras pas encore longtemps. Remarque, je ne sais pas non plus, au fond...
Madeleine, alors de la chance longtemps (pour avoir de la chance, un truc imparable : il faut distribuer de la tome fraîche aux blogamis qui te font dire "j'ai beaucoup de chance" dans les commentaires :-E )
Pour que les "au revoir" ne soient pas que noirs, mais sans rien ôter à ta note, il y aussi les "au revoir" qu'on dit -tout petit- à son nounours en sachant qu'on va le retrouver le lendemain, à son meilleur copain/copine en rentrant de l'école avant de l'appeler au téléphone 15 minutes plus tard, on à son/sa fiancé(e) avant de le/la retrouver sur le quai d'une gare à la fin de la semaine...
Bien sûr LaVitaNuda, il y a tous ces "au revoir" qui sont vraiment des promesses de se revoir, ceux dont on apprend à ne pas avoir peur (Cro-Mi est en plein dedans, d'ailleurs). Ceux qu'on aime pas trop dire parce qu'ils clôturent un bon moment, mais qui sont presque le début du bon moment d'après.
Tiens d'ailleurs, tu me fais penser que même ceux-là, je ne les aime pas trop (sans doute une vieille peur de l'abandon pas bien réglée, justement !!). Je préfère les "à demain" !
On peut dire au-revoir dans sa tête, ou au chevet d'une personne qui est dans le coma, elle "entendra"… Ce qui n'est pas mal, c'est surtout de pouvoir dire un jour "le je t'aime" qu'on porte en soi… De prendre le risque de passer pour un peu bizarre 2 secondes -le com' de Swahili m'a touchée-
Moi qui suis comme une rescapée, je me suis souvent sentie dans l'urgence de dire ce qui devenait essentiel - et je ne regrette pas, car il y a déjà fort à faire avec les sentiments qui restent, et qu'on appelle souvent "le complexe des survivants"! :-P
Bises à toi et tendresse
fazou, comme ton commentaire me touche. On doit se ressembler un peu, je crois ! Je t'embrasse aussi.
Ce n'est pas seulement un au revoir qui nous manque...C'est plein de mots jamais prononcés...parce que l'on pensait avoir le temps. Et puis le temps nous rattrape et devant l'incertitude d'un au-delà, on regrette ce que l'on a dit ou pas assez dit.
Beaucoup de choses touchent juste dans vos mots. Je ne fréquente pas les cimetières.Le moins possible. Même si je m’en passerai bien,il y a eu, vous vous en doutez, inexorablement des moments où je n’ai pu y « échapper ». Difficile. Le côté organisé peut-être ? Alors que c’est tellement personnel,intérieur,intime. Et dur aussi,car cette perte fait forcément penser à notre propre mort. Ce sont des rites de passages. Pour moi, si « mes morts » -(je trouve l’expression très douce en fait,pas horrible du tout),ceux qui manquent et qui importent,ne sont plus là physiquement,ils sont avec moi et ils sont moi,car, proches ou éloignés,que je les ai côtoyés directement ou pas, il y a eu une relation qui s’est construite et qui a engagé chacun dans son registre.Je ne serai pas le même si cela n’avait pas été. Ensuite, mémoire, souvenir, pensée, chacun s’arrange comme il peut,la pensée peut être plus ou moins souterraine, enfouie, il y aura des moments où, quelques minutes, par l’effet d’une sensation une réminiscence, il y aura quelque chose de joyeux ou triste, un petit moment partagé…un écho. Et là, je ne sais pas s'ils sont bien avec moi, mais je suis bien avec eux.
En fait Anne, pour préciser un peu, je ne crois pas à l'au-delà, pour moi la mort, c'est la fin de tout, le néant, le grand vide. Mais pour ce qui est de "l'au revoir", je ne sais pas... J'ai "juste" perdu mon unique grand-mère (paternelle) en 2001, ça faisait quelques années déjà qu'elle avait perdu la tête, sa mémoire, et je vivais loin d'elle, ce qui fait que... quelque part, elle était déjà partie avant de mourir.
J'ai un peu de mal avec la mort, à la concevoir, l'appréhender... (J'avais écrit un billet là-dessus mais je ne le retrouve plus.) Woilou!
C'est si affreusement difficile de dire ce genre d'au revoir. Je ne cesse d'y penser, quelque part en continu au fond de moi depuis des années, depuis que la santé de mes parents se dégrade lentement mais sûrement. J'ai pourtant "vu" partir tous mes grands-parents, et d'autres proches, mais je n'arrive pas à envisager un au revoir à mes parent. Qui se rapproche pourtant. Et qui me terrifie, alors je me contente de profiter de tous les bonjours que je peux encore leur dire...
Phany, en même temps, il faut bien vivre autrement que dans la peur d'avoir trop dit ou pas assez... difficile équilibre à trouver !
K, j'aime beaucoup la façon dont tu conclues ton commentaire, ça résonne en moi, cette phrase.
Rose, je crois qu'on est ainsi faits qu'on ne conçoit la mort qu'en s'en approchant, sinon la vie serait insoutenable. Enfin ça, c'est quand tout va bien, bien sûr...
Véro, je suis comme toi, terrorisée à l'idée de cette perte... alors oui, profiter, à fond, dès qu'on peut, quand on peut...