Elle avait treize ans en 1983, un chat nommé Garfunkel, un ami un peu mystérieux, "L'autre", pas ses règles mais se promenait avec des tampons dans son sac us pour faire croire aux autres que oui.

Elle avait des problèmes avec ses parents qui en avaient entre eux, avec l'école sauf avec sa prof de musique.

Je me souviens précisément quand "Stéphanie" est entrée dans ma vie avec ses "Cornichons au chocolat". Ma copine Vanessa avait le livre, sans doute acheté par sa mère, me l'a prêté et on l'a lu et relu et re dévoré parce que ce qu'il y avait dedans, c'était nous, ou presque.

27 mars 2007. Je suis en pleine journée de conférences, j'attends l'arrivée d'une star du foot d'il y a quelques années pour le convoyer jusqu'à mon boss. Mon portable sonne et affiche "papa".

Pour "Papa", je décroche, toujours, quitte à le prévenir que ça va être court.

Il appelle juste pour me demander si je me souviens de ce roman, dont le titre l'avait intrigué et qu'il avait lu, et aimé. Des cornichons au chocolat.

Oui je m'en souviens. Le nom de Stéphanie me revient en mémoire illico. Stéphanie, 13 ans, qui avait publié son premier roman. J'avais envié, un peu, admiré, beaucoup.

Papa me raconte qu'il vient d'entendre que Philippe Labro venait de faire son coming-out de nom de plume, que c'est lui qui avait écrit le roman.

Je rigole. "Bien joué". Ca fait 20 et quelques années et le secret n'a pas percé (contrairement à Jack-Allain Léger et son Paul Smaïl qui non seulement a été dévoilé mais aussi lapidé par la critique).

Je ne suis pas de ceux que le nom d'emprunt et une forme d'imposture littéraire dérange plus que cela. Parfois, devenir un autre permet d'arpenter le monde des mots différemment. De pouvoir faire vivre plus intensément un personnage qu'on aurait jugé peu crédible sous le nom de son auteur avec son histoire, son passé, sa biographie, son sexe, son cv, qu'importe.

Labro a réussi son coup parce que des milliers d'adolescentes (ou pré adolescentes) se sont reconnues dans un certain malaise, dans tout ce que grandir a de complexe. Et pour beaucoup d'entre elles, se sont senties aidées et comprises. Pour moi, c'est là l'essentiel. Que Labro, Stéphanie ou Pif le Chien en soient l'auteur ne change rien dans le fait que ce bouquin a été un "compagnon de route". Je ne me sens pas trahie, au contraire, j'admire la capacité de Labro a avoir saisi un certain air du temps, et puis le fond de l'âme des jeunes filles en fleur. (Il l'a très bien "refait" avec son roman "Manuela", il y a quelques années).

De même que Paul Smaïl n'existe pas "pour de vrai" ne me gêne pas. J'en connais quelques uns, des jeunes beurs sur diplômés qui font vendeur de pizza ou gardien de nuit, Paul Smaïl existe parce qu'il est le reflet et "l'expression" de ce que vivent nombre de gens.

D'autres crieront au scandale, comme des maris jaloux et des femmes trompées.

En les lisant (car ça cause, ça cause !), je me demande en quoi leur plaisir à lire ces romans a été entamé. Est-ce un besoin de s'approprier l'auteur qui les fait hurler à la manipulation ?

(J'écris ça et me dit en conclusion que l'usurpation me gêne beaucoup plus chez un auteur de blog, par exemple, ce qui n'est pas forcément très cohérent. Mais est-on obligé de l'être toujours ?)