L'AIEULE
Par Chiboum le mardi 26 juin 2007, 09:04 - All about Chiboum - Lien permanent
Elle est la dernière de sa génération, dans ma famille.
Bien sûr il y a quelques cousins qui s'intercalent entre elle et mes parents, mais ça n'est pas tout à fait pareil.
Bizarrement, c'est de mon autre grand-mère qu'on parlait en disant qu'elle était méchante.
Mais de celle-ci, rien quand, toute petite, elle me disait du mal de mon père, rien quand, au moment où son fils est mort, elle a dit à ma mère qui portait tout ce qu'elle pouvait à bout de bras que "maintenant, elle était seule", rien quand elle a fait porter et supporter sa douleur aux trois de ses petites-filles, enfants et ados, qui étaient en train de perdre leur père à jamais.
Rien quand elle persifle, rien quand elle est intrusive.
Il faut dire qu'elle est complètement imperméable à tout ce qu'elle ne veut pas entendre.
Elle vit depuis des décennies dans un monde parallèle où ce qui compte, c'est la robe que portait la femme de l'Ambassadeur et la belle image qu'on pouvait lui renvoyer d'elle, son ascension sociale, sa soif d'appartenir à un milieu où le nombre de diamants est plus important que quoi que ce soit d'autre.
Aujourd'hui elle a 86 ans. Elle commence à voir autour d'elle qu'elle a de la chance d'y être arrivée dans un si bon état. Mais elle constate les décrépitudes, les absences. Je crois que la peur de la fin s'insinue en elle, doucement. Et je compatis sincèrement. La prise de la conscience de la réalité doit être encore plus dure dans son cas.
J'ai fait ce qu'il fallait faire : coup de téléphone matinal, une plante lui sera livrée dans la matinée.
Je me dis que le "pardon", l'indulgence sont sans doute la meilleure des attitudes à tenir.
Mais je cherche en vain et depuis tant d'années le lien sincère d'elle à moi, je ne l'ai jamais trouvé, je crois. Sans doute que je le regrette. Au moins un peu.
Commentaires
Tu as sans doute raison, mais moi je n'y arrive pas. La mienne aura 81 ans cette année, c'est une vieille peau qui est mauvaise au plus profond du trognon. Je ne lui pardonnerai jamais d'avoir détruit la famille là ou elle aurait pu faire beaucoup pour arranger.
En fait je suis allée à la solution la plus simple en l'écartant de ma vie. Mais la solution la plus simple n'est sans doute pas la meilleure! La question que je me pose aujourd'hui c'est jusqu'où les liens du sang doivent-ils nous lier à quelqu'un?
Il m'est arrivé de me poser cette question, Raphaëlle. Disons que quand on veut justement tenter de garder une cohésion il faut parfois faire des choses qu'on aurait pas faites pour n'importe qui d'autre. Mais... enfin tu vois, quoi.
C'est marrant, personnellement je ne m'embarrasse pas avec ces questions : je n'ai pas le temps de voir tous les gens que j'aime, ce n'est pas pour m'emmerder dans ma vie privée avec ceux que je n'aime pas. Si les gens veulent qu'on les voit, ils faut qu'ils donnent envie qu'on les voit.
Maintenant, et c'est aussi pour répondre à Raphaëlle, il n'y a pas de bonne ou de mauvaise réponse à ces situations, il y a seulement celles qui nous conviennent. Si on se sent coupable en agissant ainsi, ça n'a guère de sens. Le pardon comme tu le dis Anne est la meilleure réponse pour toi, je ne me sens pas très judéo-chrétien sur ce point et si je peux "pardonner", c'est rarement à sens unique vis-à-vis de quelqu'un qui ne m'a pas montré un signe de regret. Les liens du sang ne représentent pas grand-chose pour moi par rapport aux liens d'amitié.
La vie s'écrit sur une partition que les anciens nous font jouer. Les enfants n'ont pas le droit à la dissonance. Et des fois, il faut bien admettre que pour leur faire plaisir il faut disparaître. Mais au moins les vieux partent avant nous et ils sont un enseignement sur ce qu'on veut vivre ou pas avec nos enfants. Résultat, je n'ai presque plus de liens avec ma famille ou celle de mon Doux, et on s'entend super bien avec nos enfants. Love is all comme dit la chanson ;-)
Pardonner, oui, pour être en paix. Mais je fais une grande différence entre pardonner et donner à quelqu'un les moyens de recommencer à faire du mal. Enfin, chacun fait comme il le sent, comme il le peut. :-)
Qu'est ce qui fait qu'une personne devient toxique pour les siens ? Difficile à savoir: l'égoïsme, les répercutions de ses propres souffrances, les désillusions ?
L'une de mes grands mères étaient une femme des plus pénibles. Mais en découvrant plus tard la difficile relation qu'elle a entretenu elle même avec sa propre mère, j'ai mieux compris pourquoi elle avait tant de mal à être affectueuse avec les siens. Donner de l'amour, montrer ses sentiments ça ne va pas toujours de soi, surtout pour ces générations "d'avant".
Le pardon peut être une chose qui allège celui qui l'accorde; grâce à lui on n'est pas obligé de porter le poids de la rancune et on s'évite ainsi la contagion de cet esprit toxique. La mise à distance avec le forfait "courtoisie minimale" ça marche bien aussi : aucune prise pour les piques qui font si mal quand on attendrait des mots gentils ;-)
Gilles Aitte, en fait c'est plus par répercussion vis-à-vis des autres personnes concernées. Quand mon oncle était très malade, il y a un moment où je l'ai envoyée chier après une engueulade phénoménale où en substance, je lui disais qu'elle avait parfaitement le droit d'avoir de la peine, mais que son boulot d'aïeule était aussi de protéger ses petites-filles. Elle ne m'a pas adressé la parole pendant des semaines, ce qui m'a plutôt fait des vacances, mais elle s'est défoulée sur maman en attendant. Et je ne veux pas exposer ma maman à moi que j'aime aux plaintes sans fin de la sienne à elle. Parce qu'elle ne mérite pas.
Mais comme tu dis, chacun sa réponse, en fait.
Naya, oui Love is all. ^^
Anna, je me rend compte en lisant ta réponse que si je cultive ma "zénitude" sur les indulgences, effectivement je laisse de moins en moins prise à la récidive. Merci de ta contribution qui m'éclaire !
heidi, d'elle je n'attends rien de gentil et ce depuis ma plus tendre enfance. Effectivement je comprends les mécanismes qui l'ont construite comme ça, mais pour autant, je ne trouve pas que ça soit une fatalité. Mais ta recette est bonne !
Dans la mesure où on ne choisit pas sa famille et qu'on ne souhaite pas vivre avec des regrets, la meilleure solution, c'est toujours de faire de son mieux... :)
L'Amoureux, oui je connais ta position sur le sujet. Je vais moins loin que toi dans cette démarche qui touche chez toi à l'abnégation, disons que si je sens que ça me met en danger (ou toi ou Cro-Mi), je réagis plus "tôt" que toi. Mais je comprends.
Sinon, la carte est signée de nos trois noms, pour la plantouille d'anniversaire !
Son "boulot d'aïeule est aussi de protéger ses petites filles", dis-tu… J'imagine que perdre ses enfants doit être sacrément douloureux (moi, j'ai décidé, ça n'arrivera jamais. C'est interdit !:-)). En effet, dans de tels moments, on doit être égoïste et penser à sa peine avant de se mettre à la place d'une autre personne, fut-elle sa petite fille ou quelqu'un qu'on aime. Ceci dit, je ne vais pas me risquer à défendre ta grand mère, je n'ai pas franchement l'impression qu'elle le mérite. Mais rassure-toi, avec un peu de chance, nous aussi, dans 50 ans, on sera de vieux emmerdeurs ! Euh, j'ai écrit "chance" ?!!
Ma maman m'a un jour dit que depuis qu'elle était maman, elle comprenait que "l'amour descend mais ne monte pas". Je crois que quand tu perds la chair de ta chair, c'est encore plus douloureux que quand tu perds tes parents. Mais j'en sais rien, en fait. Tout ca pour dire que ma grand mère était comme tu décris la tienne dans les dernières années de sa vie, et que je comprends ce que tu ressens. (moi je téléphonais)
Fabrice, bien sûr que c'est "interdit", que c'est un non-sens de la nature. Et pourtant. Ma tante, qui a perdu un enfant, son mari, sa maman, a coutume de dire "la règle, c'est la vie". Et que malgré toute notre peine il faut se concentrer sur la suite, sur les vivants. Que c'est sa manière à elle de supporter la douleur. Je crois qu'elle est dans le vrai, en tout cas sa vérité est proche de la mienne. Sur le papier en tout cas.
frederique, je ne sais pas si on peut dire que l'amour descend mais ne monte pas. Depuis que je suis maman, j'ai un lien tout particulier avec la mienne, je suis très sensible à ce maillage de générations, à la notion de faire partie d'une sorte de chaîne...
C'est vrai que tant qu'on est pas confronté à ça, on réfléchit "en théorie", et dans ce cas précis, je crois qu'outre sa douleur que je ne conteste pas, c'était aussi l'illustration de ce qu'elle a toujours été : centrée sur elle et pas sur le reste du monde. Mais c'est comme ça, il faut faire avec, au moins pire en tout cas...
Je suis comme Anna, éviter toute emprise... De la distance, des relations réduites, bah je ne vois pas trop comment faire autrement pour se protéger des malfaisants, dans la famille ou ailleurs...
Fauvette, ça me paraît bien aussi, enfin moins pire...
Comme Fauvette, je parlerais de relations réduites en pratiquant le strict minimum (comme toi avec la plante par exemple) pour ne rien avoir à me reprocher et surtout surtout j'espère que je ne reproduirai pas la même chose (ici, c'est avec mes beaux-parents qu'il faut faire des efforts sachant que mon homme est fils unique !)
Des bisous (et sans me forcer pour le coup ;-) )
Ce qui est rassurant, c'est de voir que des personnes "toxiques", comme dit Heidi, arrivent quand-même à engendrer des personnes comme toi ou ta maman, qui m'a l'air d'être aussi "quelqu'un de bien" :-PP
Ce n'est jamais facile de mettre de la distance avec sa famille, ascendante ou descendante. On est peut-être plus touché par les ailleux et souvent plein de remords. Tu sembles te poser les bonnes questions et j'ai l'impression que tu as les bonnes réponses, c'est bien l'essentiel.
Il y a quelques années j'aurais probablement agi comme toi, très zen et pardon, mais je suis devenue plus dure (pour le meilleur ou le pire, je ne sais pas). Je me dis maintenant qu'on récolte ce qu'on a semé. Je n'ai plus d'indulgence pour les anciens sous prétexte qu'ils sont vieux ou qu'ils ont vécu des choses difficiles. Dans ma famille, il semble qu'on cultive les mamies indignes alors on est plusieurs de ma génération à vouloir laisser tomber.
Je crois bien que je ferais comme toi, pour être en paix avec moi-même. "bon voilà çà c'est fait et pour ce soir on bouffe quoi ??? " (en gros) Ma mère ayant perdu son fils aîné, a tout comme mon père, aussi pensé à notre douleur à nous.
Oui, swahili, c'est pas génétique la méchanceté LOL heureusement pour un certain nombre d'entre nous d'ailleurs, n'est ce pas Anne ;-) (k)
Des bisous aussi Madeleine. Et oui, familles, belles-familles, voilà des sujets de soucis et de romans, parfois !
swahili, maman oui, moi je ne sais pas, j'essaie en tout cas. Comme quoi on peut tenter d'apprendre des erreurs des autres, quand même un peu !
Chondre, les bonnes je ne sais pas, celles qui me conviennent le mieux pour le moment en tout cas ! Et je sais que tu comprends (k)
Lily, on verra bien où la vie nous mène, mais pour le moment, on fait aller comme ça en tout cas !
Valérie, je crois en plus que de se soucier de la douleur des autres nous aide à digérer la nôtre. Peut-être que je me trompe, mais ça a souvent été le cas pour moi !
luciole, hinhin ;-) !!! (k)
Je n'ai pas vraiment connu ce genre de relation empoisonnée en inter-générationnel (mais à un autre niveau, oui, bref); dans le cadre de gens moins proches, ça m'est arrivé aussi. La distance est obligatoire, mais au bout d'un moment, comme toi - et s'il y a cette distance protectrice! - j'ai tendance à avoir presque de la peine pour ces gens: ils sont emmurés.
fazou, c'est tout le difficile équilibre à trouver... entre distance, compréhension, indifférence...