Je referme le journal ce matin et... rien.

Comme il n'y avait rien ou pas grand chose ces derniers temps.

Rien ou pas grand chose sur un sujet qui devrait tous nous toucher.

Avez-vous lu le billet de Fauvette sur les mésaventures de sa belle-soeur ? Comment, jeune femme avec un bébé, on part régler un simple problème à sa banque, et on se retrouve accusée de vol de chèques, maltraitée par la police, réduite à ça : coupable et noire (ou coupable parce que noire ?).

Avez-vous lu le récit des tentatives d'expulsion de la famille Popov ? Comment sans sourciller on met une famille dont deux enfants, l'un encore bébé, en centre de détention avec en tout et pour tout un peu de lait pour la journée. C'est tout. Comment une famille d'apatride est envoyée à la mort quasi certaine parce qu'il faut faire du chiffre ?

Faire du chiffre. C'est la seule chose qu'on lit dans la presse, la volonté des pouvoirs publics de faire du résultat.

Mais il s'agit d'être humains, bon sang de bois. Au nom de quoi, de qui, traite-t-on les gens de cette façon ? En quoi est-ce glorifiant que de faire son chiffre en se conduisant comme un sous-homme, sans aucun respect de la dignité des autres ?

Je parlais avec papa l'autre jour, il me disait "au moins sous Vichy, ils avaient l'excuse de la pression de l'occupant, au moins pour certains". Et c'est vrai que là, tous seuls comme des grands, on se conduit comme des horreurs. J'ai honte. J'ai honte de savoir qu'on peut mettre des dizaines de familles désespérées dans des centres où on les traite encore plus mal qu'en prison (en taule, au moins, on bouffe...).

J'ai honte de me dire que ces gens qui ont fui leur pays en pensant qu'en France, on entendrait leur désespoir face aux guerres, aux dictatures, aux catastrophes qui déciment leur pays. Qu'au "Pays des Droits de l'Homme", il pourraient sauver leur peau, leur famille.

Vous savez ce que c'est, vous, de tout quitter, de tout abandonner, tout ce que vous avez construit, parce que c'est votre seule chance de sauver votre peau ? Et qu'un fonctionnaire lambda vous refuse le droit même de la sauver, cette peau.

On l'a fait. 53% d'entre nous ont autorisé, expressément, par leur vote, ces méthodes inacceptables. Peut-être qu'on a pas crié assez fort, peut-être que les bons messages ne sont pas passés mais on l'a fait. On a signé un papier en blanc à notre président et à ses ministres en leur disant ok. On savait. On savait tous que c'était ça, la méthode pour faire du chiffre et on les a autorisés à le faire. On a voté en notre âme et conscience. On a pas été assez nombreux à voter contre à tout prix.

Quand je pense à ceux qui ont accepté des missions, des ministères, des commissions, sous prétexte d'avoir une chance de faire de la politique autrement... Kouchner, Amara, les autres, vous arrivez, vous, à vous regarder dans la glace, le matin ? Vous les comptez comment, les gens, pour vous décharger la conscience ? Vous pensez en quoi, en dizaines d'unités nettoyés ? Plutôt qu'en nombre d'enfants expulsés ?

J'ai honte pour moi, pour vous. Et je vous jure avec toute la sérénité dont je ne suis pas capable que si un jour vous me demandez ma voix, je me souviendrai que vous étiez dans le gouvernement qui permettait ça. Jusqu'à mon dernier jour.

Alors maintenant ?

On attend 5 ans la tête rentrée dans les épaules en espérant que la foudre tombe à côté ? Ou on se donne une chance de pouvoir se regarder dans la glace, parce qu'on savait et que chacun avec nos moyens, on a pas laissé faire ?

Puisque la presse ne parle pas, parlons, nous, faisons passer le message. Il se passe des choses au pied de chez nous dont nul ne peut être fier. Des choses qui sont inacceptables. Des choses qui, si elles étaient pratiquées ailleurs, nous conduiraient à pointer du doigt l'infamie. Des choses qui font que n'importe lequel des pays dans lequel nous intervenons au nom de la démocratie devrait se tordre de rire sur l'air de l'hôpital qui se fout de la charité.