Mercredi. Trajet St Lazare - chez moi.

Elle avait le front haut, le regard fier, le port de tête altier. Elle ressemblait à une reine africaine, noire comme l'ébène et belle à couper le souffle. Elle avait l'air soucieuse, préoccupée, et a soudain sorti de son sac un agenda rose et orange, très petite fille, très en contraste avec ce qu'elle montrait.

Elle a compulsé fiévreusement toutes les pages jusqu'à janvier ou février. D'un oeil indiscret j'ai pu apprendre que la reine se préparait à une destinée fort sérieuse, probablement futur médecin.

Une fois l'étendue de son lourd programme vérifié, elle a rangé son agenda et s'est appuyée, tête contre le siège, comme s'il pouvait l'aider à porter le poids de ces longues études.

Et puis elle a entendu un discret "toc-toc", comme un enfant qui frapperait à une porte. Surprise et un peu inquiète, elle a commencé à regarder autour pour identifier la nature du bruit et sa provenance.

J'ai dû prendre malgré moi l'air contrit pour lui dire qu'il s'agissait de mon téléphone (qui me signalait ainsi l'arrivée d'un message ami).

Et son éclat de rire à ce moment était aussi beau qu'elle l'était, belle.

Jeudi. Gare St Lazare - Départ ligne 12 direction Porte de Versailles

En montant les marches, j'entends de la guitare. Electrique. Ca me change agréablement de la "chanteuse" de mardi qui, sur un texte joyeux parlant des guerres, de la mort et de la haine, chantait improbablement faux sur une mélodie déroutante.

Il joue bien. C'est agréable. J'arrive sur le quai, il est dans le coude d'un couloir qui y mène. Il a une bonne tête, mais quand on croise son regard, on n'y lit aucune expression. Etrange.

Il n'a pas de casquette, de chapeau ou d'étui de guitare pour faire la manche et il est surtout bizarrement épaulé. Une femme, sans doute un peu moins de 60 ans, en tailleur et parka, se tient près de lui et harangue la foule en anglais avec un accent français que Maurice Chevalier lui même n'aurait pu égaler. Et elle se met à danser. L'expression qui me vient à l'esprit est : danse du chien. Ou du scalp. Très étrange et pas du tout raccord ni avec la musique, ni avec son look à elle.

Pas grave, les accords me font sourire. Depuis mon arrivée je tourne le dos au quai pour le regarder jouer, j'essaie de lui sourire pour le remercier, nos regards se croisent, mais le sien est inexpressif. Je monte dans la rame. Fin de l'interlude.