Je ne sais pas pourquoi, je me demandais l'autre jour, si je devais raconter des choses fondatrices ou essentielles dans ce que je suis, ce qui remonterait à la surface...

Il y a le marché de Versailles avec mon grand-père paternel, pour m'initier au fromage. Les balades dans les bois, les grandes conversations d'enfance, l'immense complicité dont je ne me souviens surtout que par sensations. Il est mort quand j'avais quatorze ans, mes souvenirs sont donc un peu lointains, un peu rêvés. Mais j'ai la certitude d'avoir été aimée à la folie par ce papy là, autant que je l'aimais comme une folle et comme je continue malgré son absence.

Et ça m'est resté, en fait, cette capacité à aimer les gens malgré leur absence, ou "malgré eux", parfois. Les tombereaux de larmes qui vont avec.

Les vacances où ma grand-mère a décidé de m'initier à la cuisine (en commençant par les oeufs mimosas). Mon émerveillement parce qu'elle savait casser les oeufs d'une main. Ses monologues chiants, nos discussions. Enfant, ado, jeune adulte. Là aussi, j'ai la conscience d'avoir eu un rapport très privilégié avec elle. Jusqu'au bout, jusqu'à sa fin, plus récente mais forcément bien trop tôt.

Les jeux de cartes, les jeux de société, avec mes deux grands-pères.

Les fous-rires et les discussions sans fin avec ma tante, jusqu'à ce qu'elle change, jusqu'à ce qu'on ne se reconnaisse plus trop bien. J'espère qu'un jour on se retrouvera, qu'elle retrouvera aussi son frère, mon papa. J'espère que ça n'est pas pour toujours, ne pas la reconnaître.

Mes oncles. Leur amusement de grands jeunes hommes face au mystère qu'était un bébé, premier né des deux côtés de la famille. Leurs gestes de tendresse, leurs moqueries, chacun dans son style, très différent.

Les vadrouilles avec Papa les matins d'été, pour aller chercher la fougasse. En fait tous les moments où on pouvait se retrouver et être complices, faire des choses ensemble, père et fille rigolards. Nos rires. Nos discussions. Nos refaisage de monde systématiques.

Les moments avec Maman, aussi. Souvent le week-end, la tournée boulangerie-boucher-fruits et légumes. Et puis tout ce qui nous rapproche toujours un peu plus avec le temps qui passe. Je pense que je suis une meilleure fille pour ma mère en grandissant. Moins "fille à mon papa" fière de ses prérogatives. J'aime Maman avec une tendresse infinie, si je veux la faire pleurer, je lui dis que si je devais aller voir un psy, je n'aurais rien à dire d'autre sur elle que "on s'aime". Et j'adore l'entendre dire en parlant de sa petite-fille "on s'aime". J'adore la découvrir grand-mère, avec toutes nos différences, je nous trouve des similitudes de caractère, ou bien de façon de vivre la venue d'un enfant, que je n'aurais jamais soupçonnées avant. Mais c'est tout Maman, ça. Un long fleuve qui semble tranquille et tout d'un coup vous révèle quelque chose qui vous fait tomber de la chaise !

Des souvenirs de môme avec mon frère, nos jeux, nos disputes, notre manque absolue de proximité mais la certitude quand même qu'on est frère et soeur. Avec nos ressemblances, nos dissemblances, et notre degré zéro de toute forme de "séduction". Bruts de décoffrage l'un vis-à-vis de l'autre, rien à se prouver, et plein de choses à s'offrir, bout par bout, et très lentement.

Il y a tout ce que vous connaissez de ma vie avec L'Amoureux, de ma vie de maman, aussi.

Dans les pièces du puzzle, il y a les regards dans lesquels je me suis noyée, parfois ou souvent. Il y a le contact de certaines mains, il y a des bribes de mots et des tonnes de points de suspension.

Il y a tout ce que je n'ai dit à personne, nulle part, et puis tout ce que je ne dis pas ici.

Et tout ça s'assemble parfois tout simplement, alors qu'à d'autres moments, j'arrive à peine à trouver dans quel sens s'emboîtent deux des pièces...