Le fait d'être maman me fait prendre conscience de façon aiguë de notre humaine amnésie.

Que reste-t-il dans notre mémoire de ces premiers mois, premières années ? Rien, sinon sans doute des choses trop profondément enfouies pour qu'on leur mette le doigt dessus. Tout, mais impalpable.

Je vois Cro-Mignonne rire, sourire, chanter, danser, jacasser, nous faire des blagues, jouer, se construire. Je la vois nous aimer comme jamais plus elle ne nous aimera plus grande, si inconditionnellement, si pleinement. Et elle ne s'en souviendra pas.

Nous aussi avons été des enfants et il ne nous reste en mémoire vive que ce qu'on nous en raconte. Pas un souvenir du moment où nous avons marché la première fois, construit notre première tour de cubes. Evidemment toutes ces choses sont présentes en nous, dans ce que nous sommes, diffuses, mais il nous est impossible de parler de souvenirs.

On apprend, ensuite. Que tout le monde est faillible, de même que (surtout) les parents. Qu'il y a des ombres dans notre monde, des au revoir, des adieux, des désaccords plus ou moins définitifs.

On quitte l'amour sans conditions, on aime toujours ses parents, mais pas de la même façon. Peut-être que c'est mieux de les aimer tels qu'ils sont que comme des héros imaginaires, bien sûr. Mais cette intensité, où est-elle ? Peut-être aussi que c'est indispensable pour apprendre à aimer d'autres personnes que de faire l'apprentissage de la déconstruction de l'amour absolu de papa et maman. Evidemment ça l'est.

Mais on ne s'en souvient jamais.