Les invisibles
Par Sacrip'Anne le vendredi 26 août 2011, 00:07 - All about Chiboum - Lien permanent
Je fais partie des archi matinaux du bureau. Arrivée vers 8h-8h15 max.
Ce n'est pas du tout pour le plaisir de contempler le jour naissant sur les riantes banlieues, c'est juste obligé : c'est le créneau qui me permet de déposer ma fille au centre de loisirs à l'ouverture et de pouvoir partir assez tôt (généralement peu avant 17h30) pour être à peu près certaine de l'y récupérer avant la fermeture.
Mais ça permet de goûter à un peu de temps serein sur l'open-space (encore que j'y ai un rabicoin bien à l'abri) encore désert.
Souvent on me demande : mais ce n'est pas trop flippant (oui, ils parlent comme ça, mes collègues) d'être toute seule au bureau ?
D'abord non, il y a d'autres matinaux.
Ensuite il y a la cohorte des invisibles.
Les coursiers que je croise dans le parking avec un rapide bonjour et un mot sur les bouchons du matin.
L'homme ou la femme de ménage du hall pour qui je fais des pitreries en évitant de marcher sur le marbre fraîchement lavé.
Le monsieur de la machine à café qui attend que j'ai fait mon thé ou mon chocolat du matin avant de se mettre à l'ouvrage (et qui m'a appris la fameuse réparation "à l'africaine" de la dite machine).
Eux et d'autres parfois, agents de maintenance, du PC de sécurité...
Je me suis longtemps demandé dans la vie si le fait de les connaître alors que les autres ignoraient leur existence était lié à des horaires du matin.
Mais non. Beaucoup ne les voient pas (sauf quand ça contrarie leur propre emploi). Pas un bonjour, pas un pardon, pas... rien.
Ca m'énerve. Du coup je fais justice sociale en allant leur tailler une bavette, parfois. Sans trop nuire à leur productivité, bien plus mesurée que la mienne.
Commentaires
Toujours copiner avec les invisibles !
Quand je travaillais dans cette grande entreprise qui vend de l'électricité, j'ai copiné avec les femmes de ménage (outre qu'elles étaient charmantes, et marrantes, je me suis offert la garantie de toujours avoir un déo au parfum que j'aimais dans mon bureau - quand vous recevez du public, c'est malheureusement indispensable - et nous avions toujours assez de papier toilettes pour la journée, et le savon toujours rechargé, non qu'elles ne le fasse pas pour tout le monde, mais disons qu'en cas de stocks trop justes, fallait choisir, hein). Le type de la machine à café, pour avoir les astuces, et sur notre machine payante (une gratuite existait, mais ne pas monter les étages valait bien le maigre prix qu'ils demandaient), un petit café gentiment offert par le monsieur, pour lui avoir tenu la porte, dis bonjour, ou trouvé une poubelle. Les livreurs, parce qu'ils ne bloquent pas ta bagnole s'ils le peuvent, et attendent que tu soit à peu près dispo pour te faire signer le bon, au lieu de te jeter le paquet sur les genoux du client.
Et puis, beaucoup ne les voient pas, jusqu'à ce qu'ils ne viennent pas, et là, bizarrement, leur absence se remarque tout de suite, plus rien ne tourne rond !
Ouais tu connais la technique dans l'événementiel ;-) heu si on pouvait pas vous voir 8-)
Les "ombres" de la techniques sont pourtant des êtres humains souvent fréquentables avec qui nous avons parfois passé d'inoubliables moments
Puisque j'ai fait une multitude de boulot et justement quelques uns de ceux de l'ombre, c'est tout à fait naturel pour moi de les saluer, bavarder, sourire et surtout essayer de leur faciliter la tâche.
Ma fille a le même esprit, et comme le dit Jathenais, cela a des avantages. Lorsqu'elle bossait à Washington, elle saluait le matin les chauffeurs des voitures officielles. Du coup, lorsque le soir un d'eux la voyait attendre à l'arrêt du bus, il lui proposait de la reconduire chez elle en voiture de l'ambassade ;o)
J'aime bien arriver tôt avant le rush, tranquille allumer l'ordi, me faire un café, arroser les plantes que les autres oublient...
On a beaucoup moins d'invisibles chez nous, mais il ne me viendrait même pas à l'esprit de ne pas les saluer! Du coup, les livreurs se souviennent automatiquement de nos noms (on doit le donner pour signer), et ça rend les choses un peu plus humaines et sympas...
La "réparation à l'africaine" de la machine, c'est le grand coup de pied dedans? :-D
Bisous du vendrediiiiiiiiii :heart:
Jath, ah mais ce n'est même pas dans l'optique "copiner" et éventuellement en tirer parti. Juste, on est des humains, on se croise... on se parle. Moins dans les centre-villes très peuplés, mais même dans la rue, si je croise un regard, je dis bonjour, en général.
Gilsoub, huhu, oui, c'est vrai !
jath, les ombres de la technique, de la logistique, tout ça, sont des personnes hautement fréquentable, j'en sais quelque chose !
Valérie, j'ai eu la chance de ne pas faire trop de métiers ingrats et difficiles, mais ça ne change pas. Et huhu, ta fille, elle doit avoir en plus le sourire rayonnant ! Moi aussi, ce matin : chocolat (mais sans doute thé un peu plus tard, tiens, une envie), vidage de l'eau d'hier dans la plantouille, vous répondre... et puis travailler, un peu ?
Floh, non, il faut caler le bac vidange de cette pourtant très neuve et moderne machine avec un krût. Par exemple un gobelet en carton un peu plié, enfin dans l'idée.
Merci, toi aussi, bisous du vendrediiiii :-*
Quand j'ai eu mon poste de jeune prof néo-titulaire, j'ai rencontré en moins d'une semaine l'ensemble du personnel de mon nouvel établissement. Il m'a fallu un demi trimestre pour connaître tous les noms, prénoms, surnoms, les raccorder les uns aux autres, puis les coller sur le bon visage et la bonne fonction.
Un midi de la fin du premier trimestre, lors d'une conversation entre collègues prof, je me suis rendu compte que j'étais la seule du réfectoire à connaître les noms et prénoms de tous les agents, à savoir plus ou moins quels étaient leurs services, à connaître des choses sur la vie de la plupart d'entre eux (les prénoms des filles de l'une, la raison de l'absence d'un autre pendant 15 jours).
J'ai été choquée, j'avoue. Et qu'aujourd'hui encore, ce soit à moi qu'on vienne demandé le prénom du nouveau surveillant, qui c'est les deux gars là-bas ou ce genre de choses, ça me donne l'impression d'être un des seul véritable être humain de l'équipe enseignante. Parce que si je connais le prénom du surveillant, c'est parce que je suis allée me présenter et l'accueillir. Parce que si je sais qui sont les deux gars là-bas, c'est parce que je les ai salué, repéré le logo d'une entreprise de chauffagiste et que j'ai demandé "Tiens, il y a un problème avec le chauffage ?" et que, trop content de ne pas passer inaperçus, les deux hommes m'ont répondu que non, ils venaient juste faire un contrôle avant qu'on l'allume pour l'hiver et de m'expliquer que bientôt, on aurait un système informatique de réglage des températures, parce qu'on a blagué deux minutes quand je leur ai demandé comment pirater le système pour avoir moins froid.
J'aime être de ceux qui voient ces gens. Même si certains jours, côtoyer les autres a quelque chose d’écœurant.
J'ai souvent bossé à des moments "décalés" en cuisine sur de l'événementiel ou quand je faisais les marchés pour ma boite, j'aimais ces moments "d'avant que ça commence" le sentiment d'être initiée, d'avoir accès à un monde que la plupart ne voit pas. J'ai des souvenirs dans des troqués vers 5/6 heures du matin le café entre les éboueurs, les livreurs, les bouchers, femmes de ménages, infirmière après les nuits... des moments qui m'ont beaucoup nourris, et aujourd'hui je sors du bureau dans les dernières et j'aime bien tailler le bout de gras avec la femme de ménage, même si je me sens un peu mal à l'aise maintenant que je suis "de l'autre côté" mais comme ça je n'oublie pas...
La Voyelle (du mot Voyou), pas mieux. Il y a aussi quelque chose de l'ordre du "on ne se mélange pas" dans les relations sociales qui me dérange profondément.
L'impatiente, pourquoi mal à l'aise ? Il n'y a pas de "côtés", à mon sens. Des humains. Côte à côte. Avec des jobs différents, des horaires différents, des personnalités différentes. Mais des humains. Point.
Mon mari est un invisible... Je suis profondément choquée quand il me raconte le mépris de certains profs pour son travail et pour lui.
Anne, bien sur tu as raison, mais je viens d'un milieu populaire: fille de paysans, j'ai été ouvrière je connais la difficulté, la pénibilité de ces travaux mal payés et maintenant avec les études que j'ai faites même si c'est tout neuf je suis au chaud, assise, reconnue et j'ai du vernis aux ongles... quitter son milieu... personne ne songe à me le reprocher, mais j'ai parfois le sentiment d'avoir trahi. Samandti avait écrit un très joli billet la dessus "l'ouvrier et l'oiseau" je crois, c'est un sentiment étrange...fierté, gratitude et culpabilité
Anne A, ça me désole. Je veux dire, qu'on ne "voit pas", parce qu'on est tête en l'air, dans ses pensées, etc, qu'il y a un autre humain dans le coin, c'est déjà rageant, mais bon. Que ça soit du mépris organisé...
L'impatiente, pas improbable qu'on ait déjà eu la conversation avec samantdi : j'ai été élevée dans l'idée que d'une certaine manière, ce sont ceux qui font les métiers les plus pénibles qui me rendent la vie plus agréable. Donc respect. Et pour autant : je comprends, je crois.
Même constat que toi, les deux endroits où j'ai bossé qui disposaient d'une équipe de nettoyage, nombreux de mes collègues 1) ne leur disaient pas bonjour mais 2) bien pire que ça, ne respectaient pas leur boulot et ça... j'ai eu quelques prises de bec parce que balancer son gobelet avec du café dedans alors que le type n'a pas encore remis de sac poubelle, l'obligeant du coup à laver la poubelle... j'arrive pas à comprendre. Ne pas faire un détour de 10 cm et marcher où c'est mouillé idem. Mais il y a pire, on rate la poubelle, on ramasse pas enfin bref... j'ai un collègue qui avait fait un mail général nous traitant tous de porcs vu l'état des toilettes le soir alors qu'elles étaient nettoyées chaque matin. Enfin... :badass: (je ne sais pas ce que veut dire ce smiley alors je le mets!)
Pappo-Stef, pareil un peu partout, hélas. A se demander comment vivent les gens chez eux. Nous c'est la guerre des mégots : on a des cendriers partout dehors, et il y en a encore pour foutre les leurs par terre, ça me démonte.
Ceci dit, il n'y a pas que les équipes techniques. Je suis sidérée par le nombre de gens qui passent devant la réceptionniste sans lui dire bonjour, sauf au moment où ils ont besoin d'elle. Sad world. Quel genre de pouvoir ça pourrait bien nous conférer que de se considérer au-dessus du lot ? Je m'interroge...
Anne > j'ai pas dit que c'était dans l'optique de, c'est la conséquence, pas l'objectif ;-)
Comme toi, ça me semble tellement évident de discuter avec ma collègue-femme de ménage. Il aurait fallu si peu de choses pour que je sois à sa place !
A l'inverse, j'ai quelquefois du mal à communiquer, échanger avec des directeurs, pdg, ingénieurs, élus divers et variés ... En ai-je d'ailleurs envie ?!
Bon week-end colombine.
jath, oui, mais ça méritait d'être précisé, dans l'absolu et pas seulement en réponse !!
Madeleine, huhu. Oui, le filtre vient plutôt de l'envie de communiquer avec une personne et ce qu'elle véhicule (pas comme fonction, mais comme "ouverture apparente au monde") qu'à tout autre critère !
Merci ! Toi aussi.
Parmi les boulots alimentaires que j'ai faits, il y eu réceptionniste-standardiste et la plupart des gens de l'entreprise où je travaillais ne me disait pas bonjour le matin :-(
Comme vous tous, je fais attention aux "invisibles", réceptionnistes et gens de ménage (j'échange souvent quelques mots avec l'homme de ménage qui passe le soir quand le centre est quasiment vide).
Et comme vous, j'enrage de voir les gens manquer de respect pour le travail des autres !
Me levant en ce moment à 6h et dans le métro à 7h, je vois dans le métro, dans la rue, aux abords des bureaux, la population invisible que tu décris.
As-tu lu le livre de Florence Aubenas, Le quai de Ouistreham? Je te le conseille vivement.
Jenny, oui, effarant.
Laurent, c'est même une partie de mon boulot de l'avoir lu :p
Faudra que tu m'expliques :-D
j'arrive aussi dans ces eaux-là au boulot. car j'aime partir tôt le soir... j'aime pouvoir avoir le temps de faire des choses (courses, balades, sport, que sais-je) entre le moment où je quitte le boulot et le moment de se mettre à table.
après, moi ce que j'aime, c'est d'être la première arrivée dans le bureau (95% du temps), ouvrir en grand les stores et regarder le jour se lever. même si j'ai le soleil dans la tronche. m'en fiche, c'est mon pote le soleil. et puis quand j'ai beaucoup de boulot, je me lève encore plus tôt pour y être vers 7h15. et bien entre 7h15 et 9h, je fais autant de boulot voir plus que de 8h30 à 12h. car dérangée par personne. pas de mail, pas de téléphone, pas de collègue. j'apprécie ces heures là. dommage qu'il me soit si difficile de me lever avant 6h.
Laurent, oui mais en off (à peu près stricte séparation de ma vie perso et professionnelle, du point de vue web !)
Flo, pareil. Sauf que pas SI tôt quand même ! Mais oui, le pic de productivité du matin, il est bien !
Ah les fossés sociaux liés à la hiérarchie d'entreprise... Tiens encore un truc qui fait que je me sens mal à l'aise dans notre société... Et si ça s'arrêtait à ce genre apartheid, encore... Rmiste, je suis toujours fascinée par la façon dont la plupart des gens m'abordent : pour eux minima sociaux = aucun background intellectuel...
Non ; le racisme social c'est la force de notre société, pas moyen d'en douter.
'Tuski, oui, je pense comme toi que le racisme social est encore plus ancré que celui lié à des couleurs de peaux, ou de religions. Et ça me rend folle de rage. Du coup, à l'inverse, quand j'en vois un des qui se prennent pour des surhommes se convertir et commencer à dire bonjour, c'est un petit instant de plaisir particulier. Encore... quelques autres.
Un peu de hors sujet matinal, oué nan mé parce que c'est important aussi d'envoyer des poutous d'anniversaire moi j'dis alors plein de poutous et très heureux anniversaire
Merci dom, mais c'est jeudi !!! À jeudi, alors :)
Je n'ai pas lu Le quai de Ouistreham, mais si tu lis bien l'anglais, tu devrais absolument lire Nickel and Dimed, un bouquin sur le même sujet mais du point de vue des Etats Unis. Ca doit être fascinant de comparer la situation en France et celle aux US.
http://www.amazon.ca/Nickel-Dimed-N...
Yes, je lis l'anglais, Dr Caso. Je me note ça sur la liste des choses à lire... quand j'aurais fini le job avec les bouquins en français, j'en ai bien une trentaine à m'enfiler d'ici novembre :D
Attention que ta dernière phrase peut être interprêtée à l'envers et laisser croire qu'ils ne foutent pas grand-chose (alors que tu voulais dire que leur temps à eux est compté de près).
(vieille habitude hélas du double langage de certains RH)
Tu as saisi mon intention, Gilda, et je pense bien que personne ici ne s'y trompera !