Il faut bien dire que sur notre cube, il y avait des avantages. Comme passer sa tête dans le bureau (ou l’antre, selon) de la personne avec qui on devait interagir et exprimer sa requête, par exemple.

Ici, foin de ces libertés. Pour demander une corbeille à papier, ou quoi que ce soit d’autre, il vous faut envoyer une demande à votre manager du milieu qui, s’il l’approuve, la transmettra à son propre chef. Chef qui, s’il continue à approuver, transmettra au chef du service concerné, qui, si lui-même opine, descendra l’info à son manager du milieu (rien à voir avec la Terre du même nom), qui, s’il n’a rien de mieux à faire, donnera l’ordre à ses subalternes opérationnels de s’exécuter.

Ca, c’est la configuration « tout va bien », quand on s’entend bien avec tout le monde et qu’il n’y a pas de question épineuse qui se grefferait à votre demande. Du genre « quelle couleur, la corbeille ? ».

Imaginez ce que ça donne quand vous voulez un rendez-vous pour une augmentation.

Ahem.

La période est, qui plus est, à la crainte. Ca rajoute du piquant à l’affaire, chaque demande de corbeille étant soit traitée comme négligeable alors qu’on a des choses tellement plus importantes à gérer, soit épluchée telle un message codé potentiellement rempli de pièges et autres insinuations diffamantes à l’égard d’un service entier.

J’exagère un peu, mais à peine.

Outre ces procédures collées à des gens qui s’en passaient fort bien avant (je ne suis pas pour l’anarchie dans le cadre du travail, mais pas pour la psychorigidité non plus, hein ! En tout cas pas pour l’anarchie TOUS LES JOURS ! Mais là… la procédure tue la procédure, si vous voyez ce que je veux dire), il y a la motivation.

La motivation s’exprime par un présentéisme forcené des managers du milieu et de leurs chefs. Ainsi que des chefs de chefs, je suppose, mais eux ne sont pas exposés à la vue de tous.

Je pensais arriver tôt, en fait non. Petite joueuse. Et hors toutes considérations un peu moqueuses qui précèdent, il m’est venu, sous forme de réflexion et jusque dans un cauchemar récent, l’idée que ces chefs du milieu et leurs chefs, dévoués corps et âmes à la bonne marche de l’entreprise, vivaient une vie bien triste.

Qu’ils n’étaient pas là pour voir leurs enfants pousser, rire le matin, grogner le soir, ou l’inverse. Et que tout ce temps qu’ils donnaient, qu’ils vendaient à l’entreprise, c’était du temps volé aux vrais humains qui composent leur vie.

Que les gens qui leur tiendraient la main au soir de leur vie seraient ceux qui avaient été volés de ce temps. Pas ceux qui en bénéficiaient et qui s’en foutent. Malgré tous les beaux discours. Ils s’en foutent. De la vie, la vraie.

Alors sans doute je n’irai jamais très loin dans l’échelle des chefs du milieu, du dessus et du dessus du dessus. Mais le matin j’entends rire ma fille, et grogner le soir. Ou l’inverse. Je retrouve mon amoureux. Et que j’ai au moins un peu de temps à leur consacrer.

Tout ça ne vaut aucune mascarade, aucune preuve de motivation superfétatoire. Je fais mon job, je le fais bien et j’en suis fière. Mais pour ce qu’on me donne, et même si on me donnait bien plus (y a de la marge), je ne suis pas prête à entrer dans cette comédie du dévouement à l’entreprise qui s’en fout.