Le temps qu'on vend
Par Sacrip'Anne le mardi 18 mai 2010, 07:00 - All about Chiboum - Lien permanent
Il faut bien dire que sur notre cube, il y avait des avantages. Comme passer sa tête dans le bureau (ou l’antre, selon) de la personne avec qui on devait interagir et exprimer sa requête, par exemple.
Ici, foin de ces libertés. Pour demander une corbeille à papier, ou quoi que ce soit d’autre, il vous faut envoyer une demande à votre manager du milieu qui, s’il l’approuve, la transmettra à son propre chef. Chef qui, s’il continue à approuver, transmettra au chef du service concerné, qui, si lui-même opine, descendra l’info à son manager du milieu (rien à voir avec la Terre du même nom), qui, s’il n’a rien de mieux à faire, donnera l’ordre à ses subalternes opérationnels de s’exécuter.
Ca, c’est la configuration « tout va bien », quand on s’entend bien avec tout le monde et qu’il n’y a pas de question épineuse qui se grefferait à votre demande. Du genre « quelle couleur, la corbeille ? ».
Imaginez ce que ça donne quand vous voulez un rendez-vous pour une augmentation.
Ahem.
La période est, qui plus est, à la crainte. Ca rajoute du piquant à l’affaire, chaque demande de corbeille étant soit traitée comme négligeable alors qu’on a des choses tellement plus importantes à gérer, soit épluchée telle un message codé potentiellement rempli de pièges et autres insinuations diffamantes à l’égard d’un service entier.
J’exagère un peu, mais à peine.
Outre ces procédures collées à des gens qui s’en passaient fort bien avant (je ne suis pas pour l’anarchie dans le cadre du travail, mais pas pour la psychorigidité non plus, hein ! En tout cas pas pour l’anarchie TOUS LES JOURS ! Mais là… la procédure tue la procédure, si vous voyez ce que je veux dire), il y a la motivation.
La motivation s’exprime par un présentéisme forcené des managers du milieu et de leurs chefs. Ainsi que des chefs de chefs, je suppose, mais eux ne sont pas exposés à la vue de tous.
Je pensais arriver tôt, en fait non. Petite joueuse. Et hors toutes considérations un peu moqueuses qui précèdent, il m’est venu, sous forme de réflexion et jusque dans un cauchemar récent, l’idée que ces chefs du milieu et leurs chefs, dévoués corps et âmes à la bonne marche de l’entreprise, vivaient une vie bien triste.
Qu’ils n’étaient pas là pour voir leurs enfants pousser, rire le matin, grogner le soir, ou l’inverse. Et que tout ce temps qu’ils donnaient, qu’ils vendaient à l’entreprise, c’était du temps volé aux vrais humains qui composent leur vie.
Que les gens qui leur tiendraient la main au soir de leur vie seraient ceux qui avaient été volés de ce temps. Pas ceux qui en bénéficiaient et qui s’en foutent. Malgré tous les beaux discours. Ils s’en foutent. De la vie, la vraie.
Alors sans doute je n’irai jamais très loin dans l’échelle des chefs du milieu, du dessus et du dessus du dessus. Mais le matin j’entends rire ma fille, et grogner le soir. Ou l’inverse. Je retrouve mon amoureux. Et que j’ai au moins un peu de temps à leur consacrer.
Tout ça ne vaut aucune mascarade, aucune preuve de motivation superfétatoire. Je fais mon job, je le fais bien et j’en suis fière. Mais pour ce qu’on me donne, et même si on me donnait bien plus (y a de la marge), je ne suis pas prête à entrer dans cette comédie du dévouement à l’entreprise qui s’en fout.
Commentaires
Comme je te comprends ! Je savoure ma chance de profiter de ma merveille et de mon Il. Une des raisons qui m'a fait choisir mon métier c'est que déjà à l'école, une des choses que je supportai le plus mal, c'était qu'on décide de mon emploi du temps à ma place;-)
Le coup des procédures, j'ai connu ça : ça s'appelle la voix hiérarchique et je ne sais pas dans quelle école de management on a appris ça, mais c'est une vaste connerie. Je n'ai jamais vu un salarié motivé dans ces conditions là.
Pour le reste, il m'est arrivé de travailler non très tôt, mais très tard, mais je savais que ça m'arriverait quand j'ai choisi ce métier. Mais j'ai récupéré toutes mes heures sup au quart d'heure près. D'abord parce que décompter ses heures ainsi est une excellente façon de renvoyer le système des procédures à la face de ceux qui la fabriquent. Et ensuite parce que, comme toi, vu le chiffre sur ma feuille de salaire, il n'était pas question que j'en fasse plus gratuitement.
J'en ai connu des gens à qui on faisait miroiter titres et salaires et qui se défonçaient jour et nuit. Et puis au bout d'un an, le couple au bord de la faillite, ils se rendaient compte qu'ils avaient fait tout ça pour rien. Des fois, pour les apaiser, on leur donnait le titre promis, mais pas le salaire… Ou lors une miette. Ceux-là ne faisaient pas long feu.
Whôa... Il aurait fallu que tu écrives ce billet il y a plus de 5 ans!
Et que mon ex-épouse de fonctionnaire le lise, le digère, accepte cette sage réalité, modifie son comportement/attitude,...
Maintenant nous sommes de supers amis, elle somatise de la tête aux pieds, se rends compte des vraies priorités et moi, je suis aux anges, savourant mon célibat, avec du temps à m'occuper des autres et de moi-même.
Mais surtout, de m'occuper de mon amour de fils, qui est bercé chaque semaine du côté de son père, du côté de sa mère, du côté de...
Fin mot de l'histoire: un fils (et père) qui comprends que pour être heureux il ne s'agit pas de gravir les échelons du statut social mais d'entretenir les valeurs humaines tels l'affection, le respect, l'entraide, l'amour...
(C'est bon, vous pouvez vous réveiller, j'ai fini).
Oh une paire de soeurs !!!
Luce, comme je comprends. J'ai été très "accro" au boulot il y a quelques années, et puis les mésaventures, les miennes, celles de mon père, la naissance de ma fille, m'ont largement fait relativiser.
Akynou, le pire, je trouve, ce sont ces grands patrons, qui sont certes bien mieux payés que le commun des mortels, et qu'on remercie après des années de boîtes, comme ça. Je ne pleure pas sur leurs indemnités de départ, ni sur le matelas que j'espère ils se sont constitué. Mais c'est la preuve par A + B que tout ce que tu donnes, ça ne sert qu'à alimenter une grosse machine qui ne t'en seras jamais reconnaissante, dans ce genre de contexte. (Mais évidemment, que dire de ceux qui se retrouvent dans la galère alors qu'ils sont impliqués, motivés, mais ne gagnent presque rien, et puis au final, plus rien du tout...)
Ou alors, pire encore, ces chefs du milieu ou de juste en dessus ne sont attendus par personne le soir, et n'ont personne le matin, juste en effet, l'entreprise à laquelle ils se dévouent tout en sachant très bien qu'elle ne le leur rendra pas.
Tu as tes priorités très saines, et si tout le monde raisonnait comme toi, le monde du travail serait peut-être un peu plus doux à supporter ;-)
Ah mais si, Floh ! C'est sans doute ça qui me distancie le plus d'eux. Ils ont de la marmaille, parfois nombreuse. Des conjoints. Des vies. Auxquelles ils n'accordent pas tout le temps qu'on a choisi de donner aux nôtres.
Un choix fait sur l'autel de la Carrière. Mais c'est si... éphémère, une carrière...
Tout à fait d'accord avec ta vision très saine de la vie et des choix humains; et ta description de la"voie hiérarchique" et ses pertes de temps m'a bien amusée ! cela m'a rappelé la commande d'un siège ergonomique pour mon bureau; j'avais un fauteuil de "chef", mais une hernie discale, mon médecin et mon kiné m'ont recommandé un siège ergonomique, dont théoriquement dans mon administration seules les dactylos étaient dotées . Il m'a fallu un certificat de mon toubib, un du médecin du travail , et une commande spéciale de mon directeur au directeur chargé du mobilier;4 mois après, je recevais mon siège ...Efficace non ?
C’est ce que je rappelle à mon homme lorsqu’il a des périodes de doutes et qu’il compare sa situation (et sa feuille de paye) à celle de copains de promo aux dents longues restés à Paris. Ça marche toujours !
J'ai la chance d'avoir un métier qui me place plus souvent en observateur de ce type de gestion humaine qu'en acteurs, la joie de l'intermittent qui va bosser pour d'autre, et je suis toujours ahuris de procédures que je peux voir, censé améliorer la productivité, et qui à mes yeux (mais je ne suis pas spécialiste !) , au contraire, la font baisser !
Un jour, un mec va sortir un nouveau concept de gestion super moderne, qui consistera à supprimer nombre de ces procédures inutiles, qui font plus de bien à l'égo personnel des petits chefs (les grands, eux, cela les emmerde plutôt les histoires de poubelle !) qu'à la bonne marche de l'entreprise ;-)
charlottine, ce qui me surprend c'est notre capacité d'humains à survivre dans toute cette absurdité...
swahili, ouf si ça marche. C'est signe que c'était un bon choix !!
Gilsoub, ahurissement, c'est le mot. Mais que ferait-on de tous ces gens employés uniquement à gérer de la procédure ??!! LOL
Ici, y'a tellement de process qu'on a inventé un process pour gérer les processes (si, si c'est possible ... Il faut déterminer qui est le propriétaire du process, qui a le droit de le mettre à jour, dans quels conditions, tout ça tout ça ... ).
Tous les jours je me dis que c'est vraiment ridicule tout ça. Et tous les jours je me demande comment j'arrive à vivre dans cette orga. Et tous les jours je me dis qu'il faudrait que je cherche à changer. Mais je suis toujours là. :-/
Et le pire c'est quand il y a émulation dans la bêtise : j'ai connu (il y a qqs années) une personne qui arrivait avant le boss (vers 7 h du mat !) juste pour être dans le couloir lors de son arrivée, et pouvoir dire bien fort : Bonjour Monsieur !...
Quant à ta "procédure de la corbeille" cela doit faire l'objet d'un enseignement dans les écoles de management, Akynou a raison ! Du genre Comment réussir à démotiver votre personnel !
Bonne journée, avec ou sans corbeille !
Toi comme moi, nous ne sommes pas des carrieristes... notre taf, c'est avant tout un gagne pain qui nous permet de faire autre chose.Alors te prends pas le choux et si ce que tu vois, te fais halluciner, ne viens pas chez moi, c'est bien pire (si si c'est possible).
Raphaelle, effectivement, c'est à se taper la tête contre les murs. Souvent je me dis que tant qu'on reste, c'est qu'on y trouve encore plus ou moins son compte...
Fauvette, le pire c'est qu'avant les procédures, le chef des corbeilles à papier était déjà prédisposé à la complication !!!
L'Amoureux, non non, ça me fait plutôt rire, en fait !
Je dois être de la même génération que toi : j'aime mon travail car j'y ai beaucoup de plaisir mais je ne veux pas que ça se fasse au détriment de ma vie de famille. C'est une question d'équilibre. Et je pense que les plus jeunes que moi sont encore plus exigeants sur cet aspect là de leur vie professionnelle.
Phil, je vois dans ton "A propos" que tu dis avoir 30 ans, s'ils datent du début de ton blog, alors on a le même âge, si tu as réactualisé et que tu les as en ce moment, je te précède d'un peu !
J'espère que les suivants le seront plus que nous : c'est en refusant de jouer ce jeu idiot que nous regagnerons, tous ensemble, peut-être un peu de terrain sur le travail qui dévore....
Mon tout premier patron m'avait dit "Valérie rappelez vous d'une chose, "trop bon, trop con" :) - Mais j'avoue qu'il me faut souvent me morigéner pour ne pas céder à la tentation de rester pour finir un dernier truc. Je pourrais très facilement être de ceux qui arrivent et repartent avant tous le monde par amour pour le travail bien fait. Ton billet a un côté salvateur... merci de redonner l'exacte place au travail.
Valérie, l'exacte place, c'est celle qu'on est d'accord pour lui donner, en même temps ! Je suis sûre qu'il y a des tas de gens pour trouver que ce billet fait tire au flanc !!
Ah les procédures... Il faut bien que la cellule qualité justifie son budget, son personnel et tutti quanti...
Personnellement, j'attends encore de découvrir ce que peut être une semaine de travail de moins de 50 heures, quand ce n'est pas 70... Alors profite, tant que tu peux car c'est bien toi qui est dans le vrai. Les couronnes mortuaires du genre "À notre collègue dévoué" on s'en passerait bien.
hu hu .... j'allais te demander si tu étais dans la fonction publique LOL mais en fait y'a pas que là qu'il faut ramer des jours et des semaines pour obtenir le moindre truc ... ;-( ... et que si tu sais pas à QUI il faut demander l'info qui te manque ... ben tu peux errer sans fin dans les procédures :-C ...
relire les 12 travaux d'Astérix en s'imprégnant du message de ce grand philosophe ... :-)
Eric, en même temps, j'arrive quand même à être dans une bonne quarantaine d'heures par semaine, mais j'essaie de prendre consciencieusement mes RTT !!
Mel, oui, j'y pense souvent, depuis mon entrée dans le monde professionnel !!