J'ai déjà raconté, plusieurs fois, pourquoi et comment j'en étais venue à vivre ma vie "ici et maintenant" plutôt que de me laisser entraîner dans d'interminables déprimes.

En gros, la perte précoce et qui laisse un vide abyssal de mes grands-pères, oncles, et de ma grand-mère paternelle.

Que ces deuils, ces creux, m'ont forgé l'envie de profiter de chaque instant de joie, même s'il est profondément englué dans une journée pas terrible. Voire pire.

Il y a autre chose.

Mon année de maîtrise, je l'ai passée dans la littérature concentrationnaire.

Avant, bien sûr, je savais qu'il y avait eu des guerres, des massacres, des choses barbares tout au long de l'histoire. Mais là je suis passée du côté de ceux qui ont survécu. Et raconté.

Si je dois me souvenir d'une chose et d'une seule (et c'est impossible, mais c'est celle que je veux raconter aujourd'hui), c'est que je n'ai pas de problèmes.

Je n'ai jamais eu faim plus de quelques heures. Personne ne m'a jamais maltraitée au point de mettre ma vie en danger. Mon existence d'humaine n'a jamais été niée, au contraire, elle a été favorisée, mise en avant, par des gens aimants. Il n'y a pas un jour de ma vie où je n'ai été aimée, d'une façon ou d'une autre. Je n'ai pas eu à construire la suite de ma vie sur une tragédie.

Alors quand les emmerdements sont un peu lourds, qu'il faut compter trois sous, se débattre dans les papiers, se dire qu'on se sent parfois un peu seule, ça me revient, automatiquement. Ces mots, ces écrits. Et cette phrase : je n'ai pas de problème vital. Que des soucis, auxquels il faut accorder le droit de pourrir un peu la vie, mais pas plus.

Toute la douleur que j'ai pu ressentir jusqu'à présent n'est que celle d'une vie humaine banale. Aussi fort peut-on aimer et en souffrir, aussi fort puisse-t-on être déçu ou contrarié, il n'y a rien là qui me donne le droit de passer à côté de ma vie. D'en gâcher de précieuses journées.

Ca ne veut pas dire qu'il n'y a jamais de larmes, de mal au bide, ou de souffrance.

Ca veut juste dire que je n'ai pas de vrai problème. Rien qui me mette en danger et que je ne puisse combattre en ouvrant les bras et en accueillant ce qui est bon.

Nat King Cole pour illustrer en musique...