Quitte à subir avec des sentiments mêlés la disparition de l'ensemble de mes mots dans le silence, que dis-je, dans une forme de trou noir, je vais m'obstiner sur des choses qui intéressent peu.

Mes camarades grévistes, par exemple (je dis "mes", je ne les connais pas, mais notre croisement deux fois par jour fait que je compatis et m'intéresse tout particulièrement à leur sort.

Ils étaient donc là, encore, ce matin. Des 15 secondes où je peux regarder; le tout en faisant gaffe à la route, ils m'ont paru plus calmes, mais aussi plus organisés.

Comme si l'élan de colère, de ras-le-bol qu'il avait fallu pour les pousser là se canalisait. Maintenant il faut s'organiser. Prévoir que ça pourrait durer. J'imagine.

Du coin de l’œil je vois une pancarte. Avec dessus un mot que je lis plus vite que les autres.

Insalubrité.

INSALUBRITE.

Je ne vois pas comment ne pas réagir avec une colère énorme. Ca vous paraît acceptable,à vous, même vous là qui n'osez pas dire que les grèves ça vous indiffère, ça vous fait chier, c'est sale, que dans des tas de pays on ne fait pas grève et que c'est mieux qu'ici, ça vous paraît acceptable qu'on envoie des gens bosser dans des lieux insalubres, ici et maintenant, en région parisienne, automne 2011 ?

Que les mecs aillent pointer et se prendre leur dose de je ne sais ? Moisissures ? Escaliers qui menacent de s'effondrer ?

Bref, qu'ils mettent de côté leur santé, leur sécurité, et même leur goût du travail bien fait parce que la seule chose qu'on doit leur répondre c'est "on a pas le budget" (qui doit se trouver être payé par les fonds public. C'est vrai que les frais de bouche de la mafia du 9-2 doit être prioritaire).

Et s'ils insistent un peu, parce que vraiment, c'est plus tenable, qu'ils bossent pour le bien public et qu'on leur offre Germinal, "oh ben si t'es pas content, y en a 500 qui attendent ta place".

Vous la mesurez, la violence de ce monde du travail ? Ca ne vous fait rien à vous ?

Oué. Je sais. Not in my backyard. Ce qu'on ne voit pas ne fait pas mal.

Mais cette situation, ce crachage à la gueule permanent, c'est nous tous qui l'avons fait. Nous tous avec nos "mais moi, alors ?", notre tendance à faire passer notre intérêt juste un peu devant l'intérêt général.

Du coup, pas trop regarder le voisin, des fois que sa merde à lui soit plus embarrassante que la nôtre. Si on ne sait pas, on peut faire comme si, et se plaindre un peu.Ne pas se sentir un peu obligé de lui tendre la main. Ca serait inconfortable de ne pas le faire. Reste de morale...

Et à coups d'yeux fermés sur ce qui ne nous arrange pas et de moi d'abord, on l'a fabriqué ce monde où des tas de gens ont su flatteur nos "mais moi, alors ?", nous faire croire qu'ils allaient bien s'en occuper, de nos petits nombrils individuels. Pour nous la mettre bien profond une fois qu'on leur avait donné le pouvoir de le faire.

Alors vous savez quoi ? Cette grève dans une usine que la plupart d'entre vous ne verront jamais, c'est ma faute, un peu, la vôtre, aussi, celle de nos parents, et ceux qui sont "contre la grève", je les emmerde.

En fait je nous emmerde tous. Je me dis qu'on est vraiment une espèce à la con, l'humain. Qu'il y a eu quelques moments de génie mais qu'on est tous une bande de connards soucieux de leurs petits "oui mais moi...".

Merde.

Colère je suis.