Elle est la dernière de sa génération, dans ma famille.

Bien sûr il y a quelques cousins qui s'intercalent entre elle et mes parents, mais ça n'est pas tout à fait pareil.

Bizarrement, c'est de mon autre grand-mère qu'on parlait en disant qu'elle était méchante.

Mais de celle-ci, rien quand, toute petite, elle me disait du mal de mon père, rien quand, au moment où son fils est mort, elle a dit à ma mère qui portait tout ce qu'elle pouvait à bout de bras que "maintenant, elle était seule", rien quand elle a fait porter et supporter sa douleur aux trois de ses petites-filles, enfants et ados, qui étaient en train de perdre leur père à jamais.

Rien quand elle persifle, rien quand elle est intrusive.

Il faut dire qu'elle est complètement imperméable à tout ce qu'elle ne veut pas entendre.

Elle vit depuis des décennies dans un monde parallèle où ce qui compte, c'est la robe que portait la femme de l'Ambassadeur et la belle image qu'on pouvait lui renvoyer d'elle, son ascension sociale, sa soif d'appartenir à un milieu où le nombre de diamants est plus important que quoi que ce soit d'autre.

Aujourd'hui elle a 86 ans. Elle commence à voir autour d'elle qu'elle a de la chance d'y être arrivée dans un si bon état. Mais elle constate les décrépitudes, les absences. Je crois que la peur de la fin s'insinue en elle, doucement. Et je compatis sincèrement. La prise de la conscience de la réalité doit être encore plus dure dans son cas.

J'ai fait ce qu'il fallait faire : coup de téléphone matinal, une plante lui sera livrée dans la matinée.

Je me dis que le "pardon", l'indulgence sont sans doute la meilleure des attitudes à tenir.

Mais je cherche en vain et depuis tant d'années le lien sincère d'elle à moi, je ne l'ai jamais trouvé, je crois. Sans doute que je le regrette. Au moins un peu.