MEMOIRES ET RICOCHETS
Par Chiboum le mercredi 13 mai 2009, 09:54 - A lire, à écouter... - Lien permanent
Je viens de commencer "Le lièvre de Patagonie", mémoires de Claude Lanzmann, notoirement connu pour son documentaire "Shoah".
J'avais envie de le lire depuis un moment et c'est l'enthousiasme de Nicolas Demorand qui a fini de me convaincre il y a quelques jours.
Je commence juste, j'en suis donc à son récit de jeune résistant, très jeune, même, puisqu'il était encore lycéen quand il a pris le maquis.
Là, une suite de noms m'interpellent. Ruynes, Bort les Orgues, Saint Flour, le Mont Mouchet... L'Auvergne dans laquelle mon grand-père, lui aussi, était un jeune résistant.
En dehors d'un style qui m'accroche et d'une vie passionnante, dès le début, Lanzmann me fait donc écho familial.
Et je pense à tous ces très jeunes qui ont pris, un matin (ou une nuit), la décision de vivre la guerre dans une clandestinité armée, qui ont risqué leur vie toutes les heures de tous les jours pendant des semaines, des mois, des années, au nom d'un refus de l'horreur.
Que ces jeunes esprits étaient animés d'une flamme, d'une conviction profonde. De loin dans le temps, je les remercie. Même si le monde dans lequel nous vivons n'a rien de très palpitant, à cette époque là, ils nous ont évité le pire. Ils nous ont fait le don de leur courage, de leurs espoirs, de leurs idéaux, de leur révolte.
Au nom de l'humain.
Mon grand-père a, je crois, abondamment instruit ses enfants de ses récits de guerre. J'en connais des bribes, je sais notamment que des objets qui lui ont appartenu, à lui et à ses camarades, sont exposés dans le petit musée du Mont Mouchet.
Mais il est mort trop tôt pour me la raconter, et je regrette qu'en une génération, toutes ces bribes d'histoires se soient un peu perdues. Il faudra que je demande à papa de se faire l'écho, à son tour, de ces récits, si ça ne lui est pas trop douloureux.
En attendant je suis Claude Lanzmann dans cette Auvergne qui m'est chère et j'imagine, un peu, par ses yeux, la vie de mon tout jeune grand-père, tout près, presque aussi jeune.
(Sur la deuxième guerre mondiale, mais dans un registre moins lourd, bien que tout aussi grave, j'ai lu ce week-end "Le Cercle littéraire des amateurs d'épluchures de patates", l'histoire, traitée sous forme épistolaire, de quelques personnes qui ont trompé l'enfer de la guerre sur l'île de Guernesay. C'est à la fois délicieux et poignant, j'ai adoré).
Commentaires
Sollicites vite ton papa, qu'il te fasse par la parole ou l'écrit le récit de ses souvenirs de son père. Le temps nous est compté. La génération des 15, 16 ans n'a aucune idée de cette histoire, de NOTRE histoire,cela me navre.
mume, maman me parlait il y a quelques temps d'élèves qui avaient été très curieux et déjà bien informés (merci mille fois au Journal d'Anne Frank), et ça m'a fait chaud au coeur.
J'ai fait en maîtrise mon mémoire sur les récits de déportation, et pour le coup, des récits sur la période, j'en ai eu par centaines de pages.
Ce qui me manque, arrivée à l'âge adulte, c'est la partie émotionnelle liée à ma famille : qu'est-ce qui a fait, dans leur histoire, dans leurs sentiments et convictions, que mes grands-parents se sont engagés, l'une et l'autre, dans la résistance (ma grand-mère aussi, imagine la pétroleuse !). Qu'est-ce qu'ils imaginaient de leur futur, comment la conviction a été plus forte que le fait de se planquer, dans le moins pire des cas.
Mais tu as raison, il faut faire vivre ces récits, ils sont essentiels pour tous.
Comme toi, je m'interroge sur cette période. Et de façon nombriliste, je m'interroge en me demandant si j'aurais le courage, la force de faire la même chose, d'être prête à mourir pour un idéal, une croyance en l'avenir, le refus de quelque chose; je ne suis pas sûre d'avoir la réponse, ça ne me rend pas fière :( Et oui, dépêche-toi de demander à ton papa. J'ai moi aussi laissé filer des bribes du passé, mes grands parents morts trop jeunes, ma mère et mon père pas assez curieux (ce n'est pas un reproche...), pas d'écrits, et pourtant il y en aurait à dire! Par contre, je pense comme toi qu'il y a encore l'espoir que la nouvelle génération y soit sensible, et c'est de notre devoir de faire perdurer tout cela... Bises :)
Floh, il y a une pièce d'Armand Salacrou qui raconte exactement ça : les choix qu'on fait et pourquoi, sans être jamais complètement noir ou blanc (quelqu'un qui décide de protéger ses enfants, par exemple, devient un "petit salaud ordinaire" pour une raison qui peut faire hésiter tous les parents de la terre...)...
Je crois qu'on ne peut pas savoir. Nos critères de réflexion ne seront jamais les mêmes que quand on est au coeur du moment. Tout ce qu'on peut faire c'est espérer qu'on aurait été du côté des humains, et faire ça au jour le jour dans nos micros combats.
Mais rien ne sert d'avoir peur de ce qu'on aurait pu être, il vaut mieux tenter d'être une bonne personne dans la vie réelle, je crois (après longue réflexion !) (k)
Ton billet me touche puisque mon grand-père aussi fut résistant. Il est malheureusement mort en déportation, mais ma mère a toujours été à la recherche de témoignages, je n'ai donc pas été privée de récits. J'essaie d'être digne de mon grand-père en participant à une asso dont le but principal est la transmission de la mémoire quand les témoins directs auront disparu. A ce titre, j'ai assisté mercredi dernier à la cérémonie de remise des prix d'un concours qui a lieu chaque année pour les collégiens et lycéens, et comme tous les ans, ça me fait chaud au cœur de voir tous ces jeunes qui participent de leur plein gré, en prenant sur leur temps personnel, et de lire la qualité de certains devoirs !
swahili, oui, en fait, on pourrait dire que la mémoire est inégalement répartie, presque...
Coïncidence amusante : moins de 5 minutes avant de te lire, je regardais l'histoire et les commentaires des lecteurs sur une librairie en ligne en me demandant si je commandais "Le Cercle littéraire des amateurs d'épluchures de patates". Est-ce que tu me le recommandes alors ?
Oui oui, junko, je le recommande. C'est un traitement original, humain, touchant, une héroïne un peu en avance sur son temps, un joli (mais court) moment de lecture !
junko, j'ajoute : hors de l'histoire qui sert de fil rouge, la façon dont le destin des personnages va s'entrelacer me fait furieusement penser aux liens blogosphériques, tu me diras si ça t'a fait ça aussi !